Après un premier album marqué par des climats inquiétants et poisseux, Nick Cave et ses Mauvaises Graines décident d'émigrer à Berlin pour enregistrer leur second album. Hugo Race se désolidarise du projet pour se concentrer sur une florissante carrière solo. A sa place, Nick Cave a confiance en la souplesse de ses multi-instrumentistes, Mick Harvey et Barry Adamson.
La piste d'ouverture, 'Tupelo', possède encore quelques relents gothiques. Des bruits de tonnerre et une pluie antédiluvienne annoncent une catastrophe à venir, rythmée par le son obsédant d'une basse décharnée. La voix de Nick Cave d'abord agressive se fait finalement plus tempérée, accompagnée de chœurs généreux pour cette allégorie biblique de la vie d'Elvis (et de son frère jumeau mort-né à Tupelo, d'où les titres du morceau et de l'album "The First Born is Dead").
Après cette première piste grandiose, la suite du disque est loin d'être honteuse. Cependant les tableaux tourmentés et glaçants ont été retouchés de traits blues, plus minimalistes et desséchés. Les instruments semblent encercler rituellement le chanteur, gravissant ensemble les pentes d'un crescendo dont la tension s'accentue sans éclater ('Blind Lemon Jefferson', 'Black Crow King'). Dans 'Knocking On Joe', Nick Cave pose sa voix de crooner sur un piano mélancolique relayé par un harmonica désabusé. Pour enfoncer le clou du cercueil, Nick Cave réécrit à la sauce blues un titre de The Birthday Party 'Six Strings That Drew Blood', qui perd en rage ce qu'il gagne en retenue. Si le tempo se fait parfois rapide comme sur 'Long Train Suffering', qui adopte le souffle d'une locomotive, c'est avec 'Wanted Man' (une relecture d'une chanson de Bob Dylan pour Johnny Cash) que la tension éclate, illustrant la fuite en avant d'un homme recherché dans tous les états américains.
Ce nouvel album permet à Nick Cave de prendre le train du blues en marche. Si le bruit et la fureur sont toujours présents, c'est de manière plus subtile, sans éclater. Si le premier album était un incendie, ce second disque est une douche froide. En projetant ses fantasmes de la musique et de la littérature américaine, Nick Cave écrit là sa mythologie personnelle.