Après être apparu dans le film de Wim Wenders, ''Les Ailes Du Désir'', Nick Cave poursuit son œuvre aussi inspirée que tourmentée. Lassé par la nouvelle orientation qui délaissait le punk, Barry Adamson quitte le navire pour rejoindre Iggy Pop, et est remplacé au pied levé par Kid Congo Powers (The Gun Club et The Cramps) et Roland Wolf (The Bad Seeds avait rencontré son ancien groupe Die Haut à Berlin, dont le batteur n'était autre que Thomas Wydler).
Si le précédent album était une œuvre au noir, ''Tender Prey'', à l'image des crédits sur sa pochette, est marqué par la couleur rouge. Rouge comme le sang qui palpite dans la cervelle d'un innocent condamné à mort quelques minutes avant son exécution sur l'épique 'The Mercy Seat'. Ce tourbillon musical, marqué par un minutieux travail d'équipe, allant d'un chant scandé, au jeu minimaliste mais redoutable de Blixa Bargeld, à une batterie martiale, en passant par un crescendo de violons, vaudra à Nick Cave son plus grand succès. Rouge, comme le diable qui virevolte au son du piano roublard de Roland Wolf sur 'Up Jump The Devil'. Rouge comme la violente alerte sur 'Sugar Sugar Sugar' (s'il fallait trouver un seul reproche à adresser à cet album, ce serait la ressemblance de cette dernière piste avec 'City Of Refuge'). Rouge, comme la surprise de cet opéra symphonique sudiste qu'est 'Mercy', hanté par son harmonica, ou encore 'Deanna' où le gospel d' 'Oh Happy Day!' se marie au punk!
Comme sur son précédent album, Nick Cave s'aventure volontiers dans des climats plus intimistes, qui délaissent l'énergie rock symbolisée par la guitare. Néanmoins, Nick Cave n'est pas encore devenu romantique à tendance fleur bleue et les thèmes sont toujours sombres. La soyeuse 'Watching Alice', encore marquée par le blues, nous parle d'un voyeur finissant par se lasser d'observer la même femme nue accomplir son rituel matinal. Sur une mélodie de piano poignante, 'Slowly Goes The Night' adoube Nick Cave comme un roi des crooners désespérés, alliant amour impossible et crise mystique. 'Sunday Slave', réalisée en trio, apporte quant à elle des orchestrations plus acoustiques, qui annoncent le prochain album.
Avec ''Tender Prey'', Nick Cave réalise un sans-faute. On passe de la froideur étouffante de son tube 'The Mercy Seat', manifeste contre la peine de mort (cette chanson aura même le privilège d'être reprise par Johnny Cash !) à la chaleur d'un nouveau jour qui se dessine ('New Morning'). Pourtant, Nick Cave commence à opérer un changement radical de cap qui divisera ses fans sur le prochain album et dont les graines ont déjà été semées sur celui-ci. "Tender Prey" est définitivement la clé de voûte de l'œuvre du corbeau australien.