Derrière le nom de Rhine il faut surtout voir la présence de l'auteur, compositeur, interprète et producteur Gabe Tachell. L'Américain est aussi le musicien de la quasi-intégralité des instruments de ses albums, seule la batterie est laissée à la charge d'un tiers (Sean Lang). Après un premier album en 2011, l'originaire de Seattle revient avec "An Outsider", un gros pavé bien noir qui a été mastérisé par Jamie King, très connu pour son orfèvrerie sur les albums de Between The Buried And Me.
A moins d'avoir une amnésie qui ferait méconnaître la production progressive extrême de ces vingt dernières années, impossible de ne pas associer Rhine aux Suédois d'Opeth. La hiérarchie entre les deux formations est malgré tout importante, ne serait-ce que dans le génie de certains passages, comme par exemple la fin de 'Spell Of Dark Water' qui n'emprunte pas la puissance qu'Opeth est capable de déployer ('Deliverance' entre beaucoup d'autres), ou les arpèges en son clair moins créatifs, et dans le bon goût de divers collages un peu hasardeux (le clavecin et les chœurs vikings de 'P.R.E.Y' ou la tentative de burlesque décalé de 'Into the Unknown'). Les chants sont principalement death ou black et les tentatives claires, rares et souvent irritantes ('Into The Unknown', les effets sur 'An Outsider') ne convainquent pas totalement surtout quand Tachell pousse dans les aigus ('Paralyzed'). Artistiquement, Rhine cultive aussi une filiation viking et black qui l'éloigne d'Opeth tout en le rapprochant d'Enslaved ('Dreaming Of Death', 'An Outsider') et une fibre psychédélique qui le porte à expérimenter sa palette sonore (l'instrumental atmosphérique final 'An Outsider-Fragments').
Rendons hommage aux qualités de compositeur de Tachell, à sa subtilité dans les arrangements ('Dreaming Of Death'), à sa justesse de musicien (la guitare jazz-rock et lyrique de 'Spell Of Dark Water') et à son talent certain pour faire surgir le relief par l'articulation harmonique de séquences à la noirceur intense et au souffle pastoral ou mélancolique ('An Outsider', 'Paralyzed'). Autant Rhine parvient à animer ses compositions en leur insufflant une énergique vitalité (l'entrain de la première partie du disque et la fin tout en rallentando de 'Paralyzed'), autant son inspiration tend à s'essouffler avec quelques compositions pas vraiment dans le ton de l'album, ou manquant d'intérêt (le long prurit nihiliste de 'Shipwrecked In Stasis' ou 'An Outsider-Fragments'). C'est sur la fin du disque que les choses se gâtent, au moment précis où Tachell musique ses fantaisies avec une audace qui est à saluer mais dont les désaccords de cohérence avec le reste du disque sont problématiques. Pour illustrer le propos, citons l'introduction de 'Dissolved In Fire', les essais de 'P.R.E.Y.' et ses paroles en allemand hors de circonstance dont on ne voit pas d'autre justification qu'en rapport avec le nom du groupe ou 'Into the Unknown' déjà mentionné.
Il y a des inspirations plus lourdes à porter que d'autres et dans le cas présent la proximité avec un Opeth en pleine réorientation joue en faveur de Rhine et peut en faire un successeur convaincant dans l'esprit de ceux qui n'ont pas adhéré au virage des Suédois depuis "Heritage". Le jeu des ressemblances ne doit toutefois pas faire oublier les qualités de Rhine que "An Outsider" laisse en partie transparaître. "An Outsider" est un intéressant album de metal death progressif qui aurait gagné en efficacité s'il avait été allégé de tout son superflu, et qui pourrait surprendre plus d'un amateur du genre.