Depuis son dernier opus, Atlantis Chronicles (combo issu des cendres de Abyss) a perdu son bassiste (Mikael Rumèbe) trop tôt disparu et après avoir mis quelque temps pour le remplacer, s'est attelé à l'écriture de son nouvel opus, comme un moyen de conjurer le
mauvais sort et de rendre hommage à leur camarade disparu... Il a donc fallu un peu de temps pour accoucher de cette nouvelle rondelle aquatique, "Barton's Odyssey". Il nous aura également fallu beaucoup de self-control pour dompter notre impatience, ne pas sauter en l'air quand la sortie fut annoncée et imaginer de quelle manière la formation allait rivaliser avec sa précédente production - ou pourquoi pas la surpasser.
Le combo nous invite à un nouveau voyage dans son imaginaire des grands fonds. Ainsi, après l'histoire d'un plongeur confronté à ses hallucinations, le groupe s'aventure à nouveau dans un monde aquatique aussi étrange que réaliste ou fantastique, dont le fil rouge est l'histoire de Otis Barton, un explorateur marin ayant atteint la profondeur 1372 mètres. Néanmoins, comme la formation ne se contente jamais d'une simple anecdote, elle étire les faits et va plus loin que ce simple record, ajoutant en trame de fond des références au mythe de l'Atlantide, ou au grand Bloop (bruit inhumain et inexpliqué capté au milieu de l'Atlantique, que certains rapprochent du grand Chtulhu et de sa cohorte d'innommables). Le groupe joue donc avec l'imaginaire collectif pour ériger sa trame narrative. Par ailleurs, les musiciens ont poussé la technique dans ses derniers retranchements car l'œuvre est plus extrême que la précédente : la guitare qui explose de mille feux et use de toute la palette de jeu shred, la batterie d'une droiture confondante qui dispense un groove improbable sous un tapis de doubles-pédales et de rythmes écrasants, et la voix qui oscille entre grunt caverneux, cris abominables et chants suaves.
La galette commence par une piste à l'ambiance glauque, moite et humide, sur fond de narration chuchotée. L'aventure subaquatique débute ('The Odyssey'). La composition qui déboule ensuite est pleine de violence et de puissance : les riffs sont variés, la basse claque (chose assez rare dans le genre), la voix crasseuse éructe du venin et la voix claire exprime un certain désarroi. Néanmoins, au milieu de ce déluge de notes, le combo aime ralentir le tempo et étaler sa poisse aquatique. Dès lors, au fil des pistes nous assistons impuissants et médusés à une avalanche de technique à la mise en place impeccable et à des interludes narratifs qui distillent une ambiance oppressante. Le plat de résistance est certainement 'Upwelling' et ses deux parties qui constituent le point d'orgue de la galette. La technicité y est certes toujours présente, les alternances entre voix caverneuse et claire nombreuses, mais s'ajoute une multitude de variations qui poussent l'expérimentation technique à son paroxysme. Ce diptyque saute à pieds joints dans le monde classieux, hors normes et mouvant du progressif : alternance entre progressions rapides et instants dilués aux mélodies fluides, couches qui se superposent, ambiances qui se répondent, guitare dissonante et sweeping impeccable. Toutefois, au fil de ces développements techniques, le groupe n'oublie jamais le groove et la nécessité vitale de toucher l'auditeur au gré de rythmes puissants et ravageurs.
"Barton's Odyssey" est un album lumineux, bourré de technique et d'inventivité, dans lequel la maîtrise musicale et l'interprétation sont bluffantes, une pépite glaciale digne de Necrophagist. A écouter d'urgence pour ne pas passer à côté d'un réel chef-d'œuvre noir comme les profondeurs abyssales dans lesquelles il nous immerge.