GaidjinN, groupe parisien hors normes, nous balance à la gueule un premier opus improbable à la croisée des guerres larvées entre la multitude de styles metal et au titre en opposition totale avec sa hargne musicale. Car, entre metalcore, djent, death, electro, pop, la formation ne choisit pas son camp et laisse à l'auditeur maniaque le choix de l'exégèse stylistique et du classement sur l'étagère metallique idoine. En effet, une limite n'existe-t-elle pas que pour être distendue, contournée et au final transcendée...? Alors, "L.O.V.E." est certainement un hymne à l'amour, loin des roucoulades mielleuses, un hymne à la bestialité ou plus certainement une oraison pour la musique sous toutes ses formes : violente, sensuelle et sexuelle.
Dans cette multiplicité, les seules constantes uniformément présentes sont la mélodie et la puissance. Ainsi, que ce soit dans les variations criardes, poisseuses et inhumaines des guitares acérées ou des vocalises d'outre-tombe, que ce soit dans les éléments presque électro ou dans un chant clair profond, on sent la volonté de baigner l'opus dans une puissance qui le démarque et le rend immédiatement identifiable. "L.O.V.E." n'est ainsi qu'un prétexte pour distendre cette base metal convenue, alors même si elle pioche chez Korn, Textures, Jamiroquai, Dir En Grey, Decapitated ou Metallica, elle digère ses références, les régurgite aussitôt à la face de l'auditeur, enrobées d'un jet âcre, puis se vautre dans cette fange, et tel l'alcoolique patent, côtoie ainsi la crasse humaine, baignée dans les fientes des égouts et des caniveaux... Toutefois, si le groupe se gorge de violence ultime, il y saupoudre une bonne dose de mélodie, et dès lors initie une collision de genres antinomiques qui engendre une nouvelle particule élémentaire non répertoriée.
L'angoisse monte dès la première piste aux allures de bande originale ('We Love Because He First Loved Us') puis se mue en mesures complexes, polyrythmiques et ainsi "presque djent", soutenues par un jeu de batterie bâti sur un tapis de doubles pédales et la guitare qui martèle un rythme percutant et scelle ainsi les verrous de ce linceul musical. Les compositions portent en elles un maelström qui fusionne en une multitude de courants hétérogènes. La piste introductive nous guide vers une première composition sur laquelle la voix graisseuse s'exprime pleinement ('Swarming Creatures') et dévoile une musique à la lisière du death, au milieu de laquelle surnage un solo de six-cordes très mélodique. Première constatation : la voix fait des merveilles aussi bien dans sa version chaotique et névrosée que dans son pendant suave et chaleureux.
C'est alors, qu'un chaos infernal déboule tout au long de pistes éprouvantes, parmi lesquelles on cherche vainement la marque d'amour. Mais comme la formation aime chambouler tous les schémas pour encore et toujours nous prendre à contre-pied, au milieu de cet enfer glauque est inséré une partie entre funk et jazz ('Living for the Love of Us All') sur laquelle la légèreté et la lourdeur se battent à qui mieux mieux...
"L.O.V.E" est une galette à la fois violente, sensuelle, sucrée, chaude,
charmeuse et hargneuse, une pièce hors normes peut-être, difficile d'accès comme pouvait l'être parfois Farmakon : sur le fil du rasoir, en équilibre instable entre les genres, guidée par des variations multiples et une masse d'idées qui jaillissent sans cesse. Ce foisonnement musical est néanmoins une exaltation des sens pour l'amateur de musiques progressives, puisqu'on y sent une grande maîtrise musicale, ainsi qu'une unité solide qui exhausse cette mélasse bouillonnante au-dessus de la fange des productions bas de plafond. L'opus est donc fort recommandable, et mérite d'être écouté avec amour bien entendu, et démontre un attrait pour les voyages sur des sentiers escarpés qui laissent des souvenirs impérissables.