La découverte d'un groupe à la forte personnalité est toujours une jubilation un peu particulière. C'est la sensation que génère le premier album des Américains de Moon Tooth, "Chromaparagon". Les quatre musiciens de Long Island ont commis un premier EP passé inaperçu en 2013, et dont le titre, "Freaks", apparaît rétrospectivement comme une définition assez juste de la musique de cette formation très originale. Ce quatre titres posait les bases d'un metal racé qui trouve en "Chromaparagon" une expression achevée poussée à son extrême diversité.
Les racines musicales de Moon Tooth sont à chercher dans Exemption, le précédent groupe de Nike Lee et Ray Marte éteint en 2012. De cette expérience de cinq ans les deux musiciens vont conserver la forge dans laquelle ils ont fondu leur alliage metallique unique. La chimie du son de Moon Tooth est complexe et se base sur la collision de différents éléments : une puissance brûlante à la densité argileuse de riffs gras et lourds balayée par une cadence qui souffle ses polyrythmies enlevées et déstructurées. Le matériau fluidifiant réside dans la voix baignée d'un halo de réverbération, claire et angélique de John Carbone, sorte de Jeff Buckley dans les fêlures et de Mike Patton dans les excès. Dans sa musique, Moon Tooth réconcilie les extrémités et décloisonne toutes ses influences. "Chromaparagon" est le lieu des grandes débauches d'ambiances, le creuset qui fusionne le gros son heavy, stoner et sludge bien visqueux avec l'alternatif ('Little Witch' où Mastodon rencontre Foo Fighters) ou le metal progressif le plus technique ('Offered Blood'), le plus souvent à de très rapides tempos mais aussi dans la lourdeur doom ('Vesuvius II').
Le metal de Moon Tooth avance telle une cavalcade infernale qui ne laisse que peu de moments de répit. Rares et d'autant plus précieux, ceux-ci procèdent de ponts en sons clairs, le plus souvent sous forme d'arpèges entremêlés ('Belt Squeezer', 'Chroma', 'Offered Blood') ou de passages aux gains de saturations plus modérées comme dans les séquences chaudes et bluesy que le groupe aime incorporer ('Igneous' et ses orgues vintage). La dernière piste, qui sort du lot par sa longueur et sa tonalité sombre plus planante, est le repos du guerrier, la récompense qui tempère enfin les ardeurs après tant de frénésie. Au milieu de tout cela il y a le rôle de John Carbone, jamais dans la retenue lui non plus. Par son énergie et sa verve presque soul ('Igneous') il incarne la dimension excessive avec ses chants expressifs ('Queen Wolf', 'Chroma', 'Death And The Vibrant Architecture Of Rebirth') et contribue aux rendus mélodiques ('Queen Wolf') et sensibles ('White Stag') des morceaux. Mais le chanteur participe à l'hystérie à sa manière par ses dissonances ('Queen Wolf') et ses pulsions rageuses ou sophistiquées (les grooves débridés de 'Forgive Me Snake Ryder' et 'Belt Squeezer').
On ne sort pas indemne de l'écoute de cette pépite brute polychrome, véritable concentré d'intensité déployée par ces quatre forcenés dont la grande qualité créative est constante et parfaitement cohérente de bout en bout. Sans une patte très originale et particulièrement douée, tout cela ne serait qu'un maelström inaudible. Moon Tooth possède cette signature qui lui donne sa forte identité et ce son unique. "Chromaparagon" est une claque monumentale, une découverte qui marquera profondément 2016.