Le 25 mars 2016, Jeff Healey aurait dû avoir 50 ans. Malheureusement, cette saloperie de crabe en décida autrement en l'emportant 8 ans plus tôt. Durant cette période, les compilations et autres live se sont multipliés. La qualité était souvent au rendez-vous, mais l'exercice commençait à être suspecté de motivations mercantiles. C'est donc avec surprise et enthousiasme que la nouvelle du premier opus d'inédits depuis 15 ans a été accueillie par tous les amateurs du génie trop tôt décédé. En effet, "Heal My Soul", composé de titres enregistrés entre 1996 et 1998, voit Jeff Healey entouré du line-up historique de ses premiers albums, lorsque le groupe se présentait sous la forme d'un trio dont la section rythmique était composée du bassiste Joe Rockman et du batteur Tom Stephen (même si ce dernier ne joue que sur deux titres, les fûts étant tenus par Dean Glover sur les autres).
Produit par Roger Costa, ce cadeau inespéré se révèle être la bande-son d'un rêve éveillé. Le trio apparaît au sommet de son art et les soli sont aussi nombreux qu'incandescents. Rarement Jeff Healey leur aura laissé autant de place sur un album studio. Traduisant la puissance des titres les plus catchy ('Daze Of The Night', 'Under A Stone'), faisant preuve d'une intensité contrastant avec la fausse confiance affichée par les paroles ('Moodswing'), le guitariste évoque une palette de sentiments semblant sans limite. La paire Rockman / Glover assure également en apportant à chaque titre le tempo adéquat. 'Please' bénéficie ainsi d'un groove irrésistible, quand la batterie se fait claquante et lourde sur 'Put The Shoe On The Other Foot'.
Chaque titre mérite que l'on s'y attarde et que l'on y revienne, éblouissant dès la première écoute et laissant découvrir de nouveaux trésors à chaque passage. La délicatesse est de mise sur un 'Baby Blue' tendre au solo poignant, sur la ballade typée highway song 'Love In Her Eyes', à la fois lumineuse et entraînante, ou sur l'acoustique et mélancolique 'All The Saints'. Au contraire, la version du 'I Misunderstood' de Richard Thompson plonge l'auditeur dans une obscurité et un désespoir renforcés par un nouveau solo d'une grande intensité. Dans ce registre dédié à des sentiments plus sombres, il est impossible de passer à côté d'un 'Kiss The Ground You Walk On' traduisant l'incompréhension et l'errance d'une âme brisée par un départ. Et puis il y a ce 'Temptation' monumental. S'appuyant sur un tempo amérindien, il varie les intensités mais reste lent et étouffant comme le soleil brûlant d'un désert du sud, grillant les chairs et brouillant l'esprit. Là encore, le solo est hallucinant, presque inquiétant.
L'ensemble prend fin sur le bien nommé 'It's The Last Time', ballade mid-tempo émouvante et chargée de signification, et laissant l'auditeur en état de choc. Difficile d'accepter que l'auteur de ces moments de grâce soit disparu et qu'il s'agisse probablement ici des derniers témoignages de son génie à la générosité sans limite. Car si l'épouse de Jeff, Cristie Healey, coadministratrice du Jeff Healey Estate avec Roger Costa, trouvera probablement encore quelques bandes inédites à nous offrir, il y a peu de chance qu'elles puissent atteindre le niveau de ce "Heal My Soul", magnifique cadeau offert aux fans et à tous les amateurs de musique. Rarement album posthume aura atteint un tel niveau de perfection qui, huit ans après le décès de son auteur, ravive la douleur causée par une perte qui apparaît de plus en plus comme irremplaçable.