Après deux albums de légende, Nick Cave retrouve avec ses Bad Seeds les contrées poisseuses et étouffantes des Etats-Unis pour un voyage onirique : "Henry's Dream". Kid Congo Powers a laissé sa place au ténébreux bassiste Martyn P. Casey et au taciturne Conway Savage au piano et à l'orgue. A l'image de la pochette, Nick Cave a-t-il pris sa place dans la mythologie américaine ? Pas si sûr.
Une guitare acoustique, un chant grave, une légère montée en puissance jusqu'à un refrain chaleureux, 'Papa Won't Leave You, Henry' semble reprendre là où ''Tender Prey'' s'était arrêté, comme si ''The Good Son'' avait été une expérience réussie pour les puristes, une parenthèse indigne pour ses détracteurs. Cet album porte le sceau de son auteur et voit Nick Cave renouer avec les perles noires. La musique de 'John Finn's Wife' qui utilise des décors gothiques, suit la progression de l'action et éclate jusqu'à l'assassinat du malheureux mari (pour se terminer en oraison funèbre). Comme l'amour et la mort sont liés par un serment magique, Nick Cave réalise sur le côté face de la pièce avec l'incandescente ballade 'Straight To You', une de ses plus belles chansons d'amour écrite et sur le côté pile 'Loom Of The Land', ballade nocturne avec des relents d'inceste et de meurtre.
Si la contribution de Blixa Bargeld émerge sur les pistes les plus énergiques ('Brother My Cup Is Empty', 'Jack The Ripper'), c'est la guitare acoustique de Mick Harvey, qui colore le rêve d'Henry. Le petit nouveau, Conway Savage est très sollicité, et son orgue apporte un sentiment d'irréalité (l'introduction de 'I Had A Dream, Joe', 'Straight To You') ou d'oppression ('Christina The Astonishing' qui renoue avec 'The Carny'). Pourtant, il est étonnant que Nick Cave l'ait choisi pour l'accompagner sur 'When I First Came To Town', sa voix anémique détruisant tous les espoirs d'empathie de l'auditeur, d'autant que Mick Harvey ou Blixa Bargeld auraient pu être des candidats plus crédibles pour cet exercice. Mais pire, à l'écoute de cet album on pourrait penser que Nick Cave est en train de se parodier, en devenant prévisible. Certaines chansons suivent des schémas identiques et la musique semble devenir un prétexte aux vers de notre poète ('Papa Won't Leave You Henry', 'Brother, My Cup Is Empty' ou 'Jack The Ripper' s'étirent inutilement).
Après deux essais victorieux, Nick Cave réalise un album mitigé, qui manque à tout instant de tomber dans la parodie, mais qui réussit un tour de force avec quelques chansons devenues des indispensables de tout live. Un album qui peut cependant constituer un bon point de départ pour ceux qui n'auraient pas encore pénétré dans l'antre de la folie australienne.