Nous connaissions le nautic doom de Ahab ou le celtic pagan doom de Mael Mordha, il faudra désormais compter avec le bigoudoom de Stangala ! Cette étiquette peut prêter à sourire, pourtant, outre le fait qu'il n'est pas né de la dernière pluie, comme en attestent ses dix années au compteur, le groupe ne rigole pas vraiment.
A cela, rien de surprenant quand on sait que derrière ce nom énigmatique se planquent en réalité des musiciens chevronnés, rompus notamment à l'exercice du black metal qu'il soit épique (Taliandörögd pour le batteur Thomas Coïc) ou plus dépressif (Netra pour le guitariste et chanteur Steven Le Moan), pour ne citer que deux exemples d'un pedigree plus ou moins obscur. Bref, les Bretons ont de la bouteille, ont roulé leur bosse et cela s'entend.
Ayant rejoint le jeune label qui monte, Finisterian Dead End, au sein duquel on le devine nettement plus à son aise que chez Solitude Productions qui avait publié "Boued tousek hag traoù mat all", premier effort déjà bien barré, Stangala est (enfin) de retour avec "Klañv", une rondelle, fabriquée sous la houlette du mythique Dan Swanö, pour le moins étonnante et qui ne ressemble en réalité à rien de connu. En un joyeux bordel, le groupe mixe, selon sa propre appellation, doom et éléments empruntés au folklore celtique, mais pas seulement car, dans ce socle plombé, viennent se greffer des kystes plus extrêmes voire quasi progressifs !
Cela pourrait aboutir à un machin informe et abscons mais réussit au contraire à être tout du long cohérent, tenu d'une main ferme par des artistes qui ont conscience de leur art et savent en cela parfaitement où ils vont et où ils veulent nous conduire, nous égarer dans les méandres aliénés d'un corridor dont chaque porte ouvre sur pièce plus déjantée encore. De ce magma infuse une noirceur aussi vicieuse que sautillante, loin de la gigue à laquelle certains s'attendaient peut-être et que semblent promettre du reste les premières mesures de l'introductif 'Bigoudened an Diaoul : Orinoù' avec bombarde et pipeau.
Sauf que très vite, celui-ci dévie de sa trajectoire, largue les amarres pour dériver lors d'une seconde partie instrumentale et démentielle quelque part du côté du King Crimson le plus azimuté, glissant peu à peu dans les abysses. Dès lors, l'auditeur tombe de Charybde en Scylla, entre un 'Hent Loar' qui s'enfonce dans les replis d'un black suicidaire, malgré ce soli de guitare venu de nulle part et ce délirant 'Lutuned an Noz' où copulent grognements écorchés et bombarde festive.
Bien qu'emporté dans un tourbillon de notes celtiques, "Klañv" puise dans ces racines une sève sombre et païenne qui lui confère des allures de rituels séculaires, de cérémonies incantatoires en hommage à des divinités oubliées et inquiétantes. L'opus envoûte aussi par la richesse de sa partition qui voit des instruments traditionnels enlacer des guitares telluriques et une rythmique ad hoc en une sarabande infernale, témoin les longues pièces terminales que sont ' Marv int ar martoloded' et ' An Ankoù hag ar vor'. Une triste beauté n'est jamais absente de ces morceaux travaillés à la manière d'orfèvres obscurs, tel 'N'eus ket dremmwel hiviz', véritable bijou d'émotion capable de vous hanter longtemps après l'écoute achevée.
Plus noir et surtout plus maîtrisé encore que son aîné, "Klañv" nous entraîne dans un voyage halluciné, accouplant avec habileté et folie doom, black metal et folklore breton en une potion aussi délicieuse que venimeuse.