A l'exception d'un "Karmacode" plutôt tiède pour ne pas dire raté, Lacuna Coil n'a jamais vraiment déçu en près de vingt ans d'une carrière dont la régularité force le respect. Au départ sous le patronage de The Gathering avec lequel il partageait alors maison de disques (Century Media) et producteur (Waldemar Sorychta), le groupe a su peu à peu évoluer et affirmer sa personnalité, injectant à son substrat gothique d'efficaces emprunts au nu metal US, le tout incarné par la dualité d'un chant féminin et masculin, loin de la simple formule de la belle et la bête.
Même s'ils doivent une bonne part de leur succès - mérité - à la présence charismatique de la superbe Cristina Scabbia, les Italiens sont à leur tour devenus une influence pour un bataillon de suiveurs toujours plus nombreux mais incapables de leur faire de l'ombre. Et ce n'est pas avec "Delirium", leur huitième opus à ce jour, qu'ils risquent de perdre leur place, au sommet du metal mélodique à chanteuse. Si pour la première fois il a décidé de se passer d'un producteur extérieur, laissant les manettes au seul Marco Coti Zelati, son bassiste, claviériste et principal compositeur, Lacuna Coil reste l'incroyable locomotive qu'il a toujours été, machine imparable que rien ne vient enrayer.
Mieux, le groupe semble avoir absorbé du Viagra par boîte de douze. De fait, jamais peut-être n'a-t-il sonné avec un telle hargne. Malgré toutes ces années, ni rouille ni poussière n'érodent encore cette mécanique qui a su conserver sa modernité, laquelle s'exprime par le biais d'une noirceur plus lourde et tenace que jamais. Comme son titre le suggère, "Delirium" se pare de couleurs extrêmement sombres dont les pinceaux sont autant l'organe masculin de Andrea Ferro, franchement énervé sur l'inaugural 'The House Of Shame' ou sur 'Ghost In The Mist', que des textes écrits à l'encre noire d'un monde au bord des ténèbres.
Un désespoir profond ourle des compos qu'écrase une obscurité épaisse, à l'image du morceau qui donne son nom à l'album, théâtre de ces lignes vocales féminines, qui procurent toujours autant de frissons grâce à leur force émotionnelle. Fidèles à une identité et à une écriture dont il est peu probable qu'ils se départissent un jour, les Italiens martèlent leur rock au corset ultra heavy et gainé de riffs acérés.
A ce titre, les guitares soulignent selon leurs habitudes les vocalises des deux chanteurs, tour à tour plombées ou déchirantes de beauté, témoin ces griffures zébrant 'Ultima Ratio' ou 'Blood, Tears, Dust'. Cristina et Andrea se répondent avec une énergie éprouvée, quand bien même on regrettera toujours un peu que la belle ne soit pas la seule voix du groupe. Mais celui-ci serait-il devenu ce qu'il est sans cette duplicité complice ? Probablement non.
La réussite de "Delirium" illustre encore une fois combien les Italiens ont fait le bon choix dès le départ, ne déviant à aucun moment du chemin qu'ils ont su tracer. Furieusement mélancolique et puissamment charpenté, cet album témoigne en outre que ses auteurs en ont encore sous la semelle...