Adagio est l'un des symboles du metal mélodique français, dont le dernier album en date ("Archangels In Black") est sorti en 2009. Le groupe s'est ensuite mis en sommeil après une sombre histoire de management. Stephan Forte s'en est expliqué, avec transparence, au cours d'une interview accordée à l'occasion de la sortie de son album solo en 2014. Les décisions du management de l'époque de s'orienter vers quelque chose de mainstream semblaient aller à l'encontre du choix artistique du leader du groupe, conduisant à cristalliser une certaine frustration de sa part ainsi que des autres membres. Cette situation aura fini par conduire à un long silence et permis à Stephan Forte de se concentrer sur son projet solo. Autant dire que l'annonce faite du retour d'Adagio aboutissant à la sortie de "Life" est attendue par les fans du groupe.
Ce nouvel album a été enregistré avec un nouveau chanteur : Kelly Sundown Carpenter (Civil War, Zierler, ex-Beyond Twilight, ex-Outworld). L'Américain avait déjà accompagné le groupe en live à l'occasion d'une tournée en 2007 et n'est donc pas tout à fait nouveau. "Life" reprend ce qui fait le charme du groupe : un mélange à la fois épique, cinématographique, agressif et gorgé de sentiments.
Le titre éponyme d'ouverture remet d'emblée les pendules à l'heure et affirme le niveau qu'Adagio n'aurait jamais dû quitter dans la hiérarchie des grands groupes de metal mélodique. Long de 9 minutes, son introduction commence comme un film d'aventures presque symphonique à l'image des blockbusters estivaux, pour ensuite voir débouler les riffs assassins de Stephan Forte. Tout y passe, techniques saccadées, mélodiques, vélocité, le guitariste sort tout son attirail et démontre ainsi sa maîtrise technique de l'instrument qui émaillera tout l'album.
Mais résumer Adagio à la technique est un pas à ne pas franchir car les lignes de chant et notamment les refrains véhiculent de nombreux frissons ('The Ladder'). Kelly ne dispose pas d'un coffre incroyable mais utilise au mieux tout son potentiel sans le forcer et livre un chant très agréable. Les growls présents sur le précédent album, poussés par Carl Bensley (Snot) ont quasiment disparu hormis sur 'Subrahmanya'.
Ainsi, tout l'art du groupe est de trouver le juste équilibre entre la démonstration technique et la transmission des émotions, ce qu'il arrive parfaitement à faire avec notamment des titres concis dépassant rarement les 7 minutes là où d'autres en mettraient 10 de plus. Le groupe intègre également un violon dont l'archer est tenu avec maestria par Mayline qui apporte une touche orientale tout à fait singulière et dont les interventions ne font pas de simples figurations ('I'll Possess You'). Le groupe invite à l'évasion dans 'The Grand Spirit Voyage' avec son atmosphère indienne et une partie instrumentale finale dantesque dans laquelle la basse monstrueuse de Franck Hermanny et les claviers de Kevin Codfert se taillent la part du lion. L'album semble évoquer l'opposition entre la spiritualité et la technologie sombre, agressive et angoissante ('Darkness Machine'). Au fil du disque, les titres deviennent plus posés comme si la paix intérieure était retrouvée, notamment 'Trippin' Away', seule ballade de "Life" avec ce très joli violon qui accentue les émotions, auquel succède un superbe solo de guitare dont Stephan a le secret. L'album se termine sur le très DreamTheaterien 'Torn' sous une forme épique et concise, Adagio sachant ne pas en rajouter de façon stérile.
Ce nouvel album est souligné par une production qui met en lumière chaque instrument, conduisant à un équilibre parfait où chaque membre a son heure de gloire, ce qui contribue également à la force du groupe. Kevin Codfert use de sons de claviers judicieux allant de nappes feutrées au piano dynamique, ce qui accentue la dramaturgie, comme si l'auditeur écoutait la musique d'un film. La basse est parfois mise en avant, laissant transparaître tout le talent de Frank Hermanny, soutenu par la frappe précise et sèche de la batterie jumelle de Jelly Cardarelli, le tout participant à créer une magnifique architecture rythmique.
"Life" frappe un sacré grand coup et démontre, si c'était encore nécessaire, qu'Adagio n'a rien perdu de son talent pour créer des titres qui font passer beaucoup d'émotions. Tantôt lumineux, sombre, oppressant, ce nouvel album s'écoute comme un film dont les images viendront hanter la tête de l'auditeur : une merveille mélodique. En espérant qu'il ne faille pas attendre encore neuf années pour avoir la suivante...