Cinq ans déjà que Ben Craven avait suscité l’enthousiasme de la rédaction de Music Waves avec son excellent "Great and Terrible Potions". Rappelons que l’artiste, originaire d’Australie, aime à officier seul, se chargeant de la composition, de l’interprétation et de l’enregistrement de ses albums et qu’il ne déroge pas ici à la règle, Ben Craven se montrant souvent assez critique sur l’industrie musicale et les rapports du public vis-à-vis des artistes.
C’est d’ailleurs le thème de ce nouvel opus dont le titre, "Last Chance to Hear", est on ne peut plus explicite. Ironiquement, l’artiste constate que "There’s never been a time when so much new music was being made by so many people and being listened to by so few people" et a l’idée de faire un album sur cette (r)évolution musicale qui met, selon lui, le format du disque en danger.
Heureusement que Ben Craven a eu la bonne idée d’expliquer ses intentions ! Car, à l’écoute de "Last Chance to Hear", bien malin celui qui en aurait deviné le thème tout seul. L’album étant majoritairement instrumental (seuls deux titres sont chantés), ce ne sont pas les quelques paroles qui auraient pu donner un quelconque éclairage. Et la thèse d’un énième concept futuriste sur un voyage spatial se serait avérée bien plus crédible. Car "spatial" et "planant" sont certainement les deux adjectifs qui caractérisent le mieux cet album qui aurait pu faire partie de la discographie de Pink Floyd si Roger Waters n’avait pas décidé d’utiliser le groupe comme instrument de thérapie de sa névrose. Les nappes de claviers, les solos de guitare, les mélodies, la production, tout renvoie à l’époque (bénie en ce qui concerne votre serviteur) coincée entre "More" et "Dark Side of the Moon".
Mais il n’est pas question ici de plagiat ni même de mimétisme. C’est bien plus par l’atmosphère générale qu’il donne à son album que Ben Craven se rapproche des Flamants Roses. Les cinq premiers titres peuvent s’entendre comme les différentes parties de la même suite. Enchaînés les uns aux autres, ils cultivent cette impression d’espace et de science-fiction, alternant passages vigoureux et moments contemplatifs, le clou étant enfoncé sur ‘Spy In The Sky Part 3’ par la présence du seul invité de l’album, le capitaine Kirk de l’USS. Enterprise himself (de la cultissime série Star Trek), alias William Shatner venu dire quelques mots de sa belle voix grave.
La seconde moitié intercale des titres qui sortent de cette ambiance spatiale (les énergiques ‘The Remarkable Man’ et ‘Revenge Of Dr Komodo’, le délicat et mélancolique ‘Mortal Remains’) et d’autres qui y replongent (‘Spy In The Sky Part 1’, ‘Last Chance To Hear Part 2’) sans que la qualité ne diminue. La production rétro nivelle le son des instruments qui se fondent dans une ambiance sonore rêveuse sans pour autant donner l’impression de confusion. Seules la basse et la batterie sont mixées légèrement à leur avantage sur quelques titres pour donner le relief nécessaire.
Cohérent de bout en bout, homogène sans être répétitif, "Last Chance to Hear" déroule une musique vive, pleine de contraste, enchaînant au bon rythme des thèmes mélodiques qui flattent l’oreille. Si Ben Craven affiche un certain pessimisme quant à l’avenir du disque, son album, lui, ne peut qu’inciter les auditeurs à l’optimisme le plus béat sur le sujet.