Est-il vraiment nécessaire de présenter Tony Joe White, même aux plus jeunes de nos lecteurs ? Probablement pas, mais rappelons simplement que le bluesman natif de Louisiane a popularisé un genre musical qu'il a quasiment inventé, le swamp rock. Ce mélange de blues-rock et de tradition louisianaise, qui porte bien son nom ("swamp" signifiant "marécage" en français), sent le sud-américain, la moiteur et le mystère de l'intrigante Louisiane.
"Rain Crow" est le 19ème album de TJW en 47 ans de carrière. A presque 73 ans, autant dire que le bonhomme se soucie peu de prouver quoi que ce soit. Il se fait plaisir en enregistrant et en jouant son blues si caractéristique fait de rythmes lancinants, de mélodies entêtantes et de cette voix si grave et profonde qui n'est pas sans rappeler celle d'Elvis. D'entrée, avec 'Hoochie Woman' White nous emmène sur les marches d'une cabane sur pilotis à la peinture écaillée, sous un soleil de plomb, en s'épanchant sur la tentation de cette femme facile. Le rythme balance et l'ampli à lampes tapisse le fond sonore de lignes de guitares justement saturées et bluesy à souhait. 'The Middle Of Nowhere', titre qu'il a composé avec l'acteur et bluesman Billy Bob Thornton, est l'incarnation même de ce swamp rock qui fleure bon le bayou louisianais.
L'album alterne les titres blues du même genre comme 'Rain Crow', le mélancolique 'Where Do The Go' et l'intrigant 'Conjure Child'. Mais c'est sur les titres typiquement swamp que White dévoile son talent d'écriture si particulier. Ainsi, 'Tell Me A Swampy Story' semble ramper jusque aux haut-parleurs. Sans véritable ligne mélodique, les instruments impriment un tempo lancinant qu'un vieil harmonica vient illuminer, non pas qu'il soit joué à la perfection mais ses petites notes éparses renforcent ce sentiment d'immersion dans le sud crasseux et moite de sa Louisiane natale. Plus impressionnante encore, 'The Openning Of The Box' délivre un rythm'n'blues brut sur un tempo plus soutenu et la batterie entêtante sert de trame trépidante aux autres instruments qui se répondent dans une procession endiablée entre harmonica crasseux, pédale wah-wah et basse ronde et parcimonieuse. Renversant !
Il n'y a rien à jeter dans ce "Rain Crow", pas plus que dans l'immense carrière de l'Américain, pas même la ballade un peu moins typée qu'est 'Right Back in The Fire' puisqu'elle apporte un peu de douceur et que Tony s'y prend pour le crooner qu'il n'a jamais été. La voix caverneuse si caractéristique de Tony Joe White, sa signature reconnaissable entre mille, transporte l'auditeur comme une barque sur le bayou, entre pontons branlants et berges herbeuses, au gré de ces neuf titres d'une authenticité exceptionnelle pour une immersion totale dans son univers musical. Tony ne perd pas la main pour l'écriture, le chant, la guitare et nous le prouve avec un nouvel album incontournable dans une discographie déjà riche de pépites. Une des productions blues majeures de cette année, à ne manquer sous aucun prétexte.