Les trois barbus texans s'apprêtent à franchir une frontière interdite et ils risquent de se faire attraper au passage. C'est cette image qui est représentée sur la pochette du nouvel opus, mais cette dernière représente également la démarche artistique du groupe. Pourtant, malgré les risques de la situation, Gibbons, Hill et Beard restent souriants. Il faut dire qu'il n'y a pas grand chose qui semble avoir de prise sur les ZZ Top qui ont pris l'habitude de gérer leur carrière comme bon leur semble. Pour ce "El Loco", ils sont toujours entourés de Bill Ham à la production et de Terry Manning à l'enregistrement, mais ces derniers les encouragent à s'engager dans l'utilisation de synthétiseurs et dans quelques autres expérimentations qui vont amener des changements non négligeables dans l'identité sonore du groupe.
Et autant dire qu'une grande partie des amateurs du groupe va être déstabilisée, au point que certains vont simplement détester cet album. Pourtant, en dehors d'un son globalement plus lisse et plus FM, une bonne moitié des titres reste traditionnelle dans la structure et dans l'interprétation. 'Tube Snake Boogie' lance l'ensemble avec un groove ensorcelant, un refrain accrocheur et des soli toujours aussi irrésistibles. Dans une approche équivalente, 'Ten Foot Pole' se fait plus urbain et légèrement syncopé, alors que 'Pearl Necklace' bénéficie d'un refrain direct et hyper efficace. 'I Wanna Drive You Home' balance un mid-tempo désinvolte mais toujours aussi imparable. Enfin, 'Don't Tease Me' et 'Party On The Patio' présentent la face la plus rock des Texans, le dernier étant chanté par Dusty Hill.
Rien de traumatisant si l'on excepte une production un peu plus aseptisée, typique des années 80. Malheureusement, le résultat final se trouve plombé par quatre titres qui peuvent être divisés en deux couples considérés comme diaboliques par les puristes. Il y a d'abord les compromissions FM représentées par un 'Leila' aux accents country et n'étant doté d'aucun solo. Bien que d'une douceur particulièrement agréable, ce morceau s'éloigne trop des rivages habituels pour ne pas choquer les plus intégristes. C'est également le cas de 'It's So Hard', plus pop mais toujours aussi FM, à peine sauvé par son long solo final et par le jeu d'un Franck Beard plus technique que d'habitude. Et puis il y a les deux pièces déjantées que sont 'Groovy Little Hippie Pad' et 'Heaven, Hell Or Houston'. Très électro pour le premier et plus sombre pour le second, ils laissent l'auditeur dans l'expectative devant de telles expérimentations.
Album honni par excellence dans la discographie de ZZ Top, "El Loco" mérite cependant d'être en partie réhabilité. En premier lieu, pour son caractère expérimental qui prouve la liberté artistique de ses auteurs. Ensuite, du fait qu'il contient une majorité de titres relativement classiques qui n'ont rien de choquant pour l'auditeur suivant le groupe depuis ses débuts. Enfin, il se révèlera comme un opus charnière dans l'histoire des Texans, passage nécessaire vers la suite de ses évolutions qui étendront sa renommée au niveau planétaire. Une écoute en le replaçant dans son contexte historique permettra à l'amateur objectif de replacer "El Loco" au rang d'album, certes un cran au-dessous de nombreuses autres œuvres du groupe, mais ne méritant pas non plus la lapidation dont il a souvent été victime.