A quoi reconnaît-on (notamment) le talent ? Sans doute à une capacité à affronter les épreuves pour s'en nourrir et finalement en sortir plus grand encore. Selon cette définition, The Answer est donc un groupe talentueux, ce que toutefois nous savions déjà. Mais "Solas" en apporte la confirmation de la plus tragique des manières.
Pour qui connaît bien les Irlandais, ce titre, qui signifie "lumière" en gaélique, répond à la période particulièrement éprouvante que le chanteur, Cormac Neeson, a vécu il y a peu, passant de nombreux mois aux côtés de son fils né prématuré et que la mort a failli emporter. Cette douloureuse expérience imprègne tout du long cette sixième offrande non pas en la plongeant dans la noirceur du désespoir mais au contraire en lui conférant une force salvatrice et lumineuse ainsi qu'une maturité dont ses auteurs tardaient à faire preuve, en dépit d'une série de galettes toutes plus solides les unes que les autres.
Sans renoncer à cette écriture aussi généreuse que chaleureuse biberonnée aux mamelles bluesy dégorgeant de feeling, comme l'illustrent un 'Demon Driven Man' au rythme chaloupé, dont les teintes verdoyantes rappellent le "Led Zeppelin III" ou ce 'Untrue Colour' agréable et tranquille quoique sans surprise, il paraît évident que le classic rock que The Answer s'emploie à forger depuis une bonne quinzaine d'années a gagné sinon en gravité au moins en épaisseur, au point de nous dévoiler un groupe métamorphosé - mieux, transfiguré.
Les trois premiers morceaux ne sont pas seulement les plus inspirés, ils sont ceux qui incarnent le plus justement cette mue, cette grandeur enfin atteinte, entre l'éponyme 'Solas' qui lance l'écoute avec une puissance émotionnelle inédite, lente et rocailleuse pulsation hantée par la voix profonde de Cormac, laquelle procure de déchirants frissons lors d'un final irrigué par un solo de guitare d'une vibrante beauté, un 'Beautiful World' surprenant de par ses ambiances mélancoliques et un 'Battle Cry' énergique et percussif dont les accents celtiques cachent eux aussi une fragilité stratosphérique.
A l'exception de l'énergique 'Left Me Standing', sans doute par ailleurs le morceau le plus faible du lot même s'il s'avère très plaisant, l'émotion est donc le maître-mot de cet opus qu'elle enveloppe avec tendresse tel un voile vaporeux ('In This Land'), faisant de lui une œuvre miraculeuse qui a du cœur et une âme. 'Thief Of Light', enraciné dans cette terre irlandaise chaleureuse et 'Tunnel' sont deux délicates respirations, bucolique pour la première, cathartique et nimbée de teintes seventies pour la seconde, qui résument avec justesse l'essence de ce disque touché par la grâce. Ce tour du propriétaire ne serait pas complet sans évoquer l'étonnant 'Real Life Dreamers', perle bluesy qui voit Neeson partager le micro avec la chanteuse Fiona O'Kane pour un résultat charmant au goût prononcé d'irish pub.
On le savait solide, on découvre avec ce "Solas" presque résurrectionnel, ruisselant la vie par tous les pores, par toutes les notes, que The Answer est devenu (très) grand.