Qu’on aime ou pas Van der Graaf Generator, force est de constater qu’il est pratiquement le seul groupe encore en activité de tous ceux qui furent les pionniers du rock progressif au début des années 1970. Certes, il y a bien Yes qui tourne encore, mais Yes sans Jon Anderson et Chris Squire n’est plus celui des origines. Rassurez-vous (ou fuyez), Peter Hammill, l’âme de VDGG, est toujours à la barre de son navire, secondé par ses admirables lieutenants Hugh Banton et Guy Evans.
Qu’on aime ou pas, chaque nouvel album de ce groupe légendaire est un événement en soi, même si le VDGG contemporain n’est qu’un parent éloigné de celui qui a produit des chefs-d’œuvre comme "Pawn Hearts", "Godbluff" ou "Still Life". Néanmoins, toutes les caractéristiques du style VDGG sont bien présentes et aisément reconnaissables, des compositions alambiquées changeant régulièrement de thème et de rythme et alternant passages mélodieux et plus âpres, voire carrément expérimentaux, aux phrases répétées en boucles entêtantes, sans oublier l’orgue ouaté d’Hugh Banton, quoique plus discret qu’à l’accoutumée, et la voix de Peter Hammill, véritable signature du groupe.
Cette voix et cette façon unique de chanter, qu’on adore ou qu’on déteste, est assurément l’un des éléments les plus caractéristiques de VDGG (et a fortiori des albums solos de Peter Hammill). Mais, si Hammill conserve une sensibilité intacte et maîtrise l’art de la modulation, il est difficile de ne pas remarquer un léger déficit de vigueur et de coffre sur les titres les plus enlevés (‘Forever Falling’, ‘(Oh No ! I Must Have Say) Yes’). Cette absence inhabituelle de charisme empêche d’insuffler le grain de folie suffisant pour faire décoller ces titres qui, du coup, s’avèrent un peu mollassons. Comme par ailleurs les thèmes mélodiques développés sont peu accrocheurs (un rock lourdingue pour le premier, une longue improvisation de guitare pas très inspirée sur un duo basse/batterie jazzy pour le second), ces deux chansons constituent un ventre mou d’un quart d’heure, simplement entrecoupé d’un court instrumental atmosphérique bien plus réussi.
Fort heureusement, le reste est beaucoup plus intéressant. ‘Aloft’, ‘Alfa Berlina’, ‘Room 1210’ et ‘Brought to Book’ soufflent avec bonheur le chaud et le froid entre belles mélodies calmes et mélancoliques et passages plus chaotiques dans la grande tradition de "Pawn Hearts", introduisant de parcimonieuses touches expérimentales (klaxons, sirènes, voix passées à l’envers, déclamations prophétiques sur ‘Alfa Berlina’) ou d’improvisation (la batterie pour introduire ‘Aloft’, un solo d’orgue saturé et déchaîné à la fin de ‘Almost The Words’). Le jeu de Guy Evans a conservé sa finesse et, si l’on peut regretter qu’Hugh Banton délaisse quelque peu son orgue pour la basse, réduisant drastiquement le spectre sonore de certains titres, il nous réserve cependant la seule véritable surprise de l’album en jouant de l’accordéon à diverses reprises, sa prestation la plus remarquable étant sur ‘Room 1210’ où l’instrument apporte un supplément de nostalgie fort agréable.
"Do Not Disturb" se finit en douceur sur ‘Almost The Words’, dont le rythme groovy d’une habanera évoque un couple dansant une danse lente, triste et sensuelle sous une chaleur écrasante, même si le final est bien moins sage, VDGG oblige, et ‘Go’ que les plus optimistes prendront pour une berceuse mais que l’interprétation élégiaque d’Hammill fait plutôt pencher vers le requiem.
Comme pour tout disque de VDGG, plusieurs écoutes sont nécessaires pour en apprécier la valeur, la première laissant une désagréable mais fausse impression de mollesse et de carence en mélodies. Le plaisir arrive au bout du quatrième ou cinquième passage, le cerveau ayant eu le temps de s’habituer aux nombreuses variations. Un plaisir néanmoins plus cérébral que sensuel, "Do Not Disturb" ne provoquant qu’à de trop rares moments de véritables instants d’émotion.