C’est en 1998 que Chester Bennington (ex Grey Daze) rejoint les membres de Xero et que ce dernier devient Hybrid Theory. Après un premier EP éponyme, le sextet est obligé de changer de nom en raison de problèmes avec un obscur groupe gallois d’electro. Ainsi naît Linkin Park qui offre son premier opus en 2000 avec le soutien du label Warner. Suite à la défection de son bassiste (Dave Farrell), les parties de cet instrument sont essentiellement assurées par le guitariste Brad Delson, ainsi que par Ian Hornbeck et Scott Koziol qui donnent un coup de main sur quelques titres. Si la formule proposée par Linkin Park peut sembler déjà utilisée par d’autres formations (Korn, Limp Bizkit, Deftones…), elle va cependant bénéficier d’une forte exposition de la part de Warner et contient suffisamment d’éléments personnels pour expliquer le raz-de-marée que cet opus va provoquer.
En effet, la formation menée par Mike Shinoda s’appuie sur l’équilibre d’un double chant assuré par son leader pour les parties rappées, et par Chester Bennington qui fait montre d’une palette assez impressionnante. Qu’elles soient pop, metal, murmurées ou hurlées, les parties du chanteur sont d’une efficacité redoutable et offrent une variété d’émotions remarquable. Les paroles sont souvent profondes et intelligentes, évitant de s’apitoyer sur le sort de leur interprète pourtant marqué par la vie. Que cela soit la paranoïa (‘Papercut’), la maltraitance infantile (‘Crawling’) ou l’échec et la trahison (‘In The End’), les sentiments sont traduits par la puissance du chant laissant échapper sa rage contagieuse ou offrant des refrains hymniques et imparables (‘Points Of Authority’).
La plus grande partie des titres se base sur un modèle commun alternant couplets rappés et refrains chantés avec hurlements placés stratégiquement avec efficacité. Les guitares sont heavy et saturées, la rythmique est chirurgicale et Joe Hahn enrichit l’ensemble de ses samples et scratches. Pourtant, à aucun moment la moindre linéarité ne pointe le bout de son nez grâce à la variété des ambiances et des intensités. La puissance ravageuse digne d’un Rage Against The Machine (‘One Step Closer’, ‘Forgotten’) alterne avec des titres plus pop-metal et mélodiques (‘In The End’, ‘Pushing Me Away’) ou d’autres carrément heavy (‘With You’). ‘By Myself’ ou ‘A Place For My Head’ se font plus rap-metal alors que ‘Cure The Itch’ offre une pause bienfaitrice avec son instrumental aérien et urbain composé de samples et de scratches.
Dès son premier opus, Linkin Park offre une œuvre variée et sans faille qui va s’imposer comme indispensable pour tous les amateurs de nu-metal, mais pas seulement. Avec son énergie, son efficacité, ses mélodies et refrains imparables, sa variété et son chant à l’émotion contagieuse, "Hybrid Theory" va porter ses auteurs sur les sommets. Ce succès mérité va malheureusement et probablement arriver trop vite et ne sera pas géré par les membres du groupe qui ne sauront plus trop quoi faire entre tentatives de capitalisation mercantile, égarements popisants et drames personnels. Il reste ce monument qu’il serait dommage d’occulter derrière la suite chaotique de la carrière de la formation américaine.