Si l’inspiration de certains groupes semble s’étioler au fil des années, ce n’est certes pas le cas de celle des Américains de Glass Hammer qui semble au contraire se bonifier, tel le bon vin, avec l’âge. Non pas que leurs productions précédentes aient démérité, loin de là. Glass Hammer porte haut les couleurs d’un progressif old school estampillé 70’s pur jus et aucun de ses disques n’est désagréable à écouter. Mais l’admiration évidente que le groupe porte à cette époque et plus particulièrement à Yes avait fini par l’engluer dans une routine, au point de le transformer en clone de son modèle ("If", "Cor Cordium") et d’engendrer des albums sans surprise ("Ode to Echo").
Mais Glass Hammer doit à n’en pas douter lire les webzines qui lui reprochaient de manière de plus en plus appuyée son inclination à parodier le grand Yes car "The Breaking of the World" (2015) rompait avec ce qui était devenu une mauvaise habitude, prenant un peu de distance avec les compositions du groupe de Jon Anderson sans toutefois renier sa filiation. "Valkyrie", concept album sur le traumatisme que la guerre peut faire subir à un homme, prend encore un peu plus de distance, délaissant la légèreté parfois un peu superficielle des albums précédents pour une musique plus sombre et aussi plus personnelle. Les passages rêveurs et poétiques, rappelant d’ailleurs beaucoup plus le Genesis des débuts que Yes, sont contrebalancés par des moments bien plus pesants qui viennent régulièrement plomber l’atmosphère, l’album se terminant par trois titres particulièrement mélancoliques.
Néanmoins, Glass Hammer n’en perd pas son sens de la musicalité pour autant, délivrant un progressif inventif avec beaucoup de claviers vintage (les amateurs de Keith Emerson, Tony Banks et Rick Wakeman seront aux anges), une basse très déliée qui ne se contente pas d’assurer la rythmique, une batterie tour à tour très dynamique et effacée, des guitares plus portées sur les riffs et les arpèges que les solos démonstratifs et une alternance de chants masculin et féminin. Les mélodies changent fréquemment de thème mais restent toujours seyantes, jamais agressives ou dissonantes, jouées par des musiciens qui détestent la répétitivité et les rythmes simples.
Susan Bogdanowicz, qui accompagne épisodiquement le groupe depuis de nombreuses années, prend du galon, propulsée lead singer après les défections successives de Jon Davison et Carl Groves, donnant la réplique à Steve Babb et Fred Schendel. A l’écoute du résultat, on en vient à se demander pourquoi le groupe n’a pas eu cette idée plus tôt. Outre le fait que sa chanteuse sait faire naître l’émotion sans artifice, elle affranchit Glass Hammer un peu plus de l’ombre de Yes dans laquelle la tessiture de Davison et, dans une moindre mesure, de Groves le maintenait. Une idée d’autant plus judicieuse que, pour les voix masculines, Babb et Schendel s’en tirent plutôt mieux que le pâle Groves.
A la fois homogène dans son propos et diversifié dans son exécution, "Valkyrie" est un album riche, varié, bien joué et doté d’une production très propre. La musique parle immédiatement au fan de prog, d’autant plus s’il aime la période 70’s, encore que certains passages fassent preuve d’une modernité inhabituelle chez Glass Hammer. Alors, laissez-vous tenter par une bonne heure de plaisir !