Porté à ses débuts par le duo Aviv Geffen - Steven Wilson, Blackfield est apparu au fil des albums comme le projet du multi-instrumentiste israélien. Si l'ombre de l'Anglais a toujours rôdé non loin de celle de Geffen, depuis "Welcome To My DNA" et "Blackfield IV", sa contribution ne s'est résumée qu'à ses talents de musicien et de génie des studios. Trois ans après "Blackfield IV", le cinquième opus marque le retour de Wilson à tous les postes stratégiques qu'il occupait pour les deux premiers disques du groupe.
Pour avoir une indication sur la tonalité de "Blackfield V", il suffit de remarquer que la pochette reprend le flacon présent dans l'iconographie du premier disque, à la différence essentielle que l'image n'est plus floue et noyée dans une obscurité poussiéreuse mais traversée d'une lumière crue sur un fond d'océan bleuté. Les écoutes confirmeront cette première intuition qui consiste à entendre "Blackfield V" comme une sorte d'antithèse de "Blackfield", au spleen sombre de celui-ci répond la douce mélancolie colorée de celui-là.
Ce sont les notes jouées par le London Session Orchestra qui inaugurent le disque et donneront toute sa dimension symphonique à la pop magnifiquement arrangée de Blackfield. Les morceaux s’enchaînent avec équilibre et fluidité dans des formats de pop-rock enjoué ('We'll Never Be Apart', 'Lately', 'The Jackal', 'Family Man' et le sous tension 'Undercover Heart' au refrain cathartique) ou de superbes ballades oniriques ('How Was Your Ride ?', 'Sorrys', 'October' et son piano lyrique, 'Life Is An Ocean' aux accents genesiens et 'From 44 to 48'). La sonorisation ample et spatiale, œuvre des deux compères qui se sont adjoint l’expertise d’Alan Parsons, procure une écoute homogène et limpide comme une eau du Pacifique. Une vraie prouesse quand on sait que l'album a été enregistré dans sept studios différents.
Steven Wilson n'est que marginalement à l'origine des morceaux ('From 44 To 48' et 'Life Is An Ocean'), sa participation active résidant surtout dans le mixage, la production et l'interprétation des morceaux, et son retour est particulièrement marquant au niveau du chant, en chœur avec le fragile vibrato de Geffen ou en solo qu'il partage quasiment équitablement avec Aviv Geffen. Son interprétation, notamment sur le sublime 'October', est assurée, profonde et pure dans l'expression des émotions comme dans les tessitures. On ne peut s'empêcher de penser que sa présence à un effet fortement stimulant sur la créativité de Geffen. A tel point que ce dernier insère pour la première fois un chœur de garçons dans 'Lately' et 'Undercover Heart', probablement inspiré par celui que Wilson a utilisé dans son dernier chef-d'œuvre, et qu'il innove en tentant l'expérience de l'instrumental ('Salt Water') et du sampling ('Lonely Soul'). L'Israélien n'est pas loin d'être à l'acmé de son inspiration en composant certains de ses meilleurs titres dans son disque le plus long.
Dans notre chronique de "Blackfield IV", nous pointions très justement le manque de personnalité de l'album. Ce cinquième épisode trouve une profondeur d'âme qui rappelle les premiers opus et développe une vraie cohérence harmonique. De par sa diversité, la haute qualité globale de toutes ses compositions et la beauté de ses mélodies, "Blackfield V" s'affiche comme l'album de Blackfield le plus brillant à ce jour.