Fallujah est une formation américaine à part et grandissante dans le cœur des amoureux de metal, car elle suscite immédiatement l'envie. Après deux albums prog qui redéfinissaient légèrement les contours du style, sans néanmoins bouleverser une base musicale établie, elle revient avec un nouveau bébé ("Dreamless"), à la pochette onirique très éloignée des archétypes du genre, qui donne immédiatement envie de se plonger à corps perdu dans cette effusion de vibrations sonores.

Encalminés sur une mer poisseuse, bercés par des ondes vibratoires variées, nous naviguons sur un océan de contrastes, entre incendies furieux, plages aériennes de toute beauté, un paysage sonore habité d'ombres, fait de bruits et de sueur, de douceur et de terreur, mais aussi gorgé de lueurs éclatantes ou bien de colères titanesques.

L'habillage des guitares franchit toutes les frontières qui séparent les genres metal : parfois franchement metalcore, puis pleines d'emphase mélodique, ou même baignées dans l'immédiateté de la pop, car bien que complexes, les compositions sont étrangement directes. On sent dès lors une réelle unité de style appuyée par une technique sans faille et un désir de susciter des émotions fortes, et ainsi faire naître des frissons de plaisir.

Une plage d'ambiance aux nappes synthétiques ouvre le bal, puis la six-cordes tisse une toile mélodique dans la lignée de Intronaut, c'est alors qu'entre en piste une guitare rythmique épaisse et une voix qui contraste totalement avec l'introduction paisible et contemplative. Les morceaux s'enchaînent sans temps mort, comme une unique composition étalée sur la durée de l'opus.

La tension monte petit à petit, 'Adrenaline' poursuit la voie initiée au début, s'enchaînent ensuite des métriques metal ('The Void Alone', 'Lacuna'), des passages évoquant la lourdeur cadavérique du death metal ('Amber Gaze'), des instants de grâce sur lesquels le temps suspend son vol ('Fidelio', magnifié par une voix féminine tendre), 'Les Silences' sur lequel une voix récite un texte en français, ou des passages instrumentaux à couper le souffle qui raviront les technophiles pointus...

Fallujah a délaissé sa violence metal originelle pour une variation plus alambiquée, soyeuse, enrobée d'onirisme grandiloquent. L'album, inclassable donc, est comme un choc émotionnel, une onde sismique qui titille la corde sensible de notre cœur amoureux de variations savantes. "Dreamless" est une ode au metal moderne, car au-delà d'une base brutale, le groupe construit, tel Intronaut, une musique à la croisée des genres, un voyage onirique guidé par des sensations qui transcendent la beauté, les styles, où les pistes fusionnent et se complètent... Le patchwork est ainsi une expérience sonore aux confins du réel où l'inspiration des musiciens semble émerger d'un monde parallèle.

On savait Fallujah maître pour construire un metal alambiqué, on le découvre surdoué dans les jeux émotionnels où il fusionne les climats, explose de couleurs sonores irisées. Un album majeur de cette année, à découvrir absolument.