Alors qu'on a l'impression qu'il est là depuis toujours, la besace colossale remplie jusqu'à la gueule, Verdun n'est pourtant encore qu'un jeune groupe dont "The Eternal Drift's Canticles" n'est que la véritable première marche vers l'indicible. Mais avant cela, il y a eu "The Cosmic Escape Of Admiral Masuka", EP sur le papier, long d'une bonne trentaine de minutes, qui d'emblée a gravé sur le marbre sévère d'un doom hargneux biberonné au hardcore le nom de ses géniteurs, dont la force réside déjà dans cette capacité à marquer durablement les esprits, à creuser de profonds stigmates dans la mémoire.
Quatre ans plus tard, les Français accouchent enfin d'un album longue durée, lequel fait passer son devancier pour une ébauche, brouillon esquissant toutefois au burin un style, une identité nourrie à la S.F. et aux grains du Neurosis le plus massif, référence obligée d'un art aussi viscéral que douloureux. Monolithe de matière brute évocateur d'images de mort et de sang, "The Eternal Drift's Canticles" se révèle être une œuvre riche de nuances insoupçonnées, travaillée dans ses entrailles par des forces qui s'opposent pour finalement se rejoindre, fusionner en un magma apocalyptique.
Ainsi, alors qu'elles affichent chacune des dimensions étirées, entre neuf et treize minutes, ces compositions fleuves se parcourent sans heurts, comme si elles glissaient en nous, édifices pachydermiques étonnamment accessibles. De même si le chant écorché et poisseux de David Sadok plonge ce matériau rocailleux au fond de tranchées jonchées de viscères encore fumantes, les riffs usinés par les deux guitaristes suintent une espèce de beauté caverneuse qui vient éclairer ces plaintes d'une austère âpreté, quand bien même ils se veulent aussi le vecteur d'un désespoir nihiliste, libérant une lave ferrugineuse qui se répand en un suaire épais ('Dark Matter Crisis').
A la fois chaotique et émotionnel, "The Eternal Drift's Canticles" semble progresser vers une issue inexorable qu'on devine funeste. À la manière d'un récit écrit à l'encre noire, ces cinq titres forment différents chapitres qui s'emboîtent les uns aux autres, en une succession de calvaires de plus en plus pétrifiés. De fait, les atours profondément mélancoliques de l'inaugural 'Mankind SeppUku' paraissent trompeurs car ils cachent une noirceur qui s'élève peu à peu pour, lors du terminal 'Jupiter's CovEn', envahir tout l'espace.
Quelque part entre Yob pour les sonorités presque cosmiques des guitares ('Self-Inflected MutAlitation') et Eibon pour cette façon de forer la roche en apnée jusqu'au bord de la rupture à grands coups de batterie cataclysmique, Verdun sculpte un doom abrasif d'une rudesse étouffante mais tout du long fissurée par des déchirures qui en brisent le fuselage mortifère. Ce faisant, le groupe honore les espoirs suscités par son premier rot, mais réussira-t-il à faire mieux par la suite ? Le départ de son chanteur ne peut que questionner un avenir en points de suspension...