Pour la plupart d'entre nous, le nom de Casey Crescenzo n'évoque (à tort) pas grand'chose. Approché en 2004 par le groupe de Boston The Receiving End of Sirens à la suite du départ de leur chanteur en 2004, il intègre le groupe, participe à deux albums et écrit une démo qu'il enregistre en une dizaine d'exemplaires. Ce qui n'était au départ qu'un side-project prend le nom de Dear Hunter.
L'histoire du Dear Hunter (vie et mort d'un jeune homme à l'aube du XXè siècle) a été suspendue pendant six années, mises à profit par Casey pour développer un second concept ("The Colour Spectrum", 9 albums) et un "non concept-album" ( "The Migrant", 2013). En 2015, le combo groupé autour de son auteur-compositeur-multi-instrumentiste (chant, claviers, basse, guitare) fait paraître l'Acte IV, suivi en 2016 d'un Acte V "Hymns With The Devil In Confessionnal" enregistré dans la foulée.
Les deux albums sont donc presque jumeaux : sans surprise nous retrouvons les mêmes ambiances symphoniques composées avec un soin extrême et très finement orchestrées. Si pour certains, le terme "symphonisme" est synonyme d'ennui ou de maniérisme, l'entame de cet Acte V va rapidement et pleinement les rassurer : l'enchaînement du magnifique thème vocal de 'Regress' et du superbement lyrique 'The Moon/Awake' crucifie l'auditeur, l'emportant comme dans une fusée à plusieurs étages, direction le pays des frissons. Mais comme l'atteste la fin très décalée de cette doublette, Casey ne commet pas l'erreur de se cantonner au seul style prog symphonique, mais se permet de nous faire visiter plusieurs paysages et plusieurs époques.
Revisitant les années 50 ('The Most Cursed of Hands / Who Am I', commencé très southern country), 60 ('Mr Usher On His Way To Town', impeccable dans son style jazzy avec chœurs de p'tites pépées), 70 ('Light', qu'auraient pu signer Simon & Garfunkel), tutoyant parfois le musical ('The Haves Have Naught'), The Dear Hunter navigue avec une dérisoire facilité dans les styles, sans jamais perdre de vue un côté mélodique très accrocheur ('Melpomene', jolie respiration).
L'opus ne propose pas de soli flamboyants ni de développements à rallonge, mais brille par sa cohérence et son sens du récit, éléments renforcés par des transitions particulièrement soignées, souvent orchestrales, et qui sont des pièces musicales à elles seules. Il faut à ce propos souligner l'importance du Awesöme Orchestra, véritable sixième membre du groupe, qui apporte une coloration toute particulière à l'univers de The Dear Hunter, coloration appuyée par un remarquable travail choral donnant une profondeur rare à l'ensemble. Au micro, Casey Crescenzo livre une partition digne d'éloges : sans avoir un timbre singulier ni une étendue vocale époustouflante, il fait preuve d'une justesse d'interprétation extrêmement sincère et attachante, variant les styles, du doux au canaille - il y a même du Vincent Furnier dans 'The Haves Have Naught' !
Cet "Act V" confirme donc avec éclat tout le talent de Casey Crescenzo pour nous livrer une œuvre enthousiasmante sans aucun temps mort, à la signature extrêmement personnelle, incontournable pour tout amateur de progressif au sens le plus large. Il faudra guetter avec impatience l'acte 6, dernier volet de l'aventure qui, aux dires de son créateur, ne se poursuivra pas sous le même format rock...