Si de nombreux groupes naissent de l’amitié que se portent leurs membres, du moins à leurs débuts (ça se gâte souvent après), Roxy Music voit le jour beaucoup plus prosaïquement par le biais d’annonces passées par Bryan Ferry et son ami Graham Simpson à la recherche de musiciens pour enregistrer un premier album. Répondent tour à tour Andy Mackay, qui amène son copain Brian Eno, Paul Thomson et Phil Manzarena qui, après avoir occupé un poste de roadie, deviendra le guitariste officiel du groupe quand David O’List (The Nice) prendra la porte. Roxy Music est né !
Enregistré en une petite semaine, leur premier album éponyme porte déjà tous les stigmates visuels et auditifs qui marqueront le groupe durant sa carrière. Visuel, car figure déjà sur la pochette pour le plus grand plaisir des auditeurs mâles l’un de ces top models (en l’occurrence, Kari-Ann Muller) en tenue affriolante et pose langoureuse que Bryan Ferry, en homme de goût, collectionnera. Auditif, car Ferry et sa bande installent leur style fait d’un glam rock à la fois très sophistiqué et passablement déjanté, enchaînant des titres aux mélodies répétitives mais pleines de surprises qui s’autorisent quelques dissonances. Et bien sûr, il y a cette voix du maître des lieux, si caractéristique qu’elle est à elle seule une véritable signature. Bryan Ferry n'est pas encore à l'apogée de sa forme mais son style vocal a déjà ce dandysme si particulier, ce maniérisme mondain et détaché qui n’appartiennent qu’à lui.
Néanmoins, Roxy Music fait preuve d’une exubérance qu’il perdra peu à peu au fil des ans. On retrouve sur ce premier opus les qualités et les défauts incombant à la jeunesse. L’inspiration est débridée et le groupe fait preuve de beaucoup de second degré, comme sur ces minis solos caricaturaux de ‘Re-Make/Re-Model’ sur lesquels chaque musicien se présente. L’audace prédomine, Roxy Music n’hésitant pas à détourner les codes classiques pour en faire une musique déviante et ironique. Les instruments, souvent grinçants, ne s’embarrassent pas d’être mélodieux, entraînés par un saxophone qui, s’il est parfois discordant, sait aussi se montrer lascif (‘If There Is Something’) ou mélancolique (‘Would You Believe ?’, ‘Sea Breezes’).
Aux côtés de titres franchement iconoclastes (‘Re-Make/Re-Model’, ‘Ladytron’), on trouve déjà des rocks aux mélodies plus policées, au caractère dansant "chic" sur lesquels la voix inimitable de Ferry se pose avec distinction et décontraction (‘Virginia Plain’, ‘2HB’, ‘Would You Believe ?’, ‘Bitters End’). ‘Chance Meeting’ et le superbe ‘Sea Breezes’ sont plus atmosphériques et un brin décadents, un style que le groupe abandonnera peu après le départ d’Eno. L’expérimental ‘The Bob (Medley)’ reste quant à lui une exception dans la discographie de Roxy Music, son patchwork ressemblant plus à un collage d’idées diverses qu’à une construction réfléchie.
La grande variété, l’enthousiasme évident et le grain de folie qui baignent cet album font de "Roxy Music" une réussite. Dommage qu’une production moyenne, rendant un fondu sonore peu précis, gâche un peu le résultat final. Cela n’empêche pas ce premier essai d’imposer un style "Roxy Music" reconnaissable entre mille.