Actif depuis le début des années soixante-dix, Abacus est un groupe cosmopolite qui se rappelle au bon souvenir de son public assez sporadiquement. Jugez-en par vous-mêmes : leur avant-dernier album date de quinze ans et le prédécesseur de celui-ci, "Destiny", est paru en 2011. L’histoire du groupe est peuplée de changements incessants de line-up, au point qu’aucun des musiciens actuels n’appartenait à la formation d’origine. Depuis sa résurrection en 1979, c’est le claviériste Jürgen Wimpelberg qui joue le rôle de fil rouge, seul rescapé de la formation qui a interprété "Destiny".
Ceci expliquant peut-être cela, car c’est peu dire que d’affirmer que les claviers sont les instruments prédominants sur ce disque. Au point de complètement noyer tous les autres instruments, du moins sur les trois premiers titres, leur laissant un peu plus d’espace (mais pas trop !) sur le reste de l’album. Dès l’introduction de ‘Rome’ (le disque contient des compositions écrites durant les tournées du groupe, d’où les titres de l’album et des chansons), le Moog vous saute à la gorge, distillant des mélodies et sonorités qui rappellent sans difficulté Emerson, Lake & Palmer. Malheureusement pas celui des grands soirs mais plutôt son penchant pour le pompiérisme. Le titre s’étire, lourd, convenu, répétitif et l’on attend vainement l’envolée salvatrice qui illuminera le morceau. Même impression de poussif sur ‘Nancy Cathedral’ malgré quelques chants grégoriens supposés apporter une touche d’originalité.
Entre les deux, le bien mieux inspiré ‘Spanish Armada’, débutant sur une narration en espagnol et alternant rythmique martiale et sombre sur les couplets et superbes envolées de claviers sur les refrains. Patrick Pelzer, au chant souvent terne, prouve qu’il est capable d’habiter un titre, poussant sans difficulté sa voix dans de puissants aigus. Même s’il se permet le temps de quelques mesures de plagier le rythme chaotique de l’‘Iconoclast’ du célèbre trio anglais ("Tarkus"), Abacus tient avec ‘Spanish Armada’ un titre qui à lui seul console d’avoir jeté une oreille sur "European Stories". Enfin pour clore le chapitre ELP, figure en bonus (curieusement placé en milieu d’album) un boogie-woogie joué sur un piano bastringue comme Keith Emerson aimait en placer régulièrement. Pas plus intéressant que le modèle dont il s’est inspiré.
‘Club de Marquee’ sort de l’ambiance ELP pour un morceau qui hésite entre le meilleur des seventies et le pire des eighties. Aux couplets hard rock réussis succèdent des refrains popisants aux claviers et chœurs kitschissimes qui cassent l’ambiance, malgré un petit intermède instrumental des plus réussis où se succèdent le premier solo de guitare de l’album et un orgue purpleien. Même constat mitigé pour ‘Berlin’ dont la première partie très lourde aux lignes mélodiques exsangues plombe la seconde, illuminée grâce à un chant féminin opératique façon Tarja. Mieux réussis, ‘European Tour Song’ est un rock mid-tempo dans la lignée de Kansas ou d’Asia, pas léger-léger mais efficace, et ‘Gaelic Farewell’ est un agréable final teinté de folklore celtique.
Beaucoup de diversité donc dans ce "European Stories" à la qualité inégale. Si certaines parties incitent au bâillement, les meilleurs moments méritent néanmoins qu’on leur accorde une oreille curieuse.