Si "Country Life" était sorti un an jour pour jour après "Stranded", il s’en sera fallu de sept jours pour que "Siren" ne succède à "Country Life" en conservant le même intervalle. Dire que Roxy Music respecte un certain rituel tient de la litote. Outre la périodicité de parution de leurs albums et un line-up reconduit à l’identique pour la troisième fois, on retrouve l’inévitable jolie fille de la pochette, le mannequin Jerry Hall déguisée en sirène, conquête du moment de Bryan Ferry avant qu’elle ne succombe au charme de Mick Jagger (la demoiselle aime le rock !).
Au-delà de ces marqueurs temporels et esthétiques, le groupe respecte aussi ses habitudes de composition et "Siren" reste dans la lignée des deux albums précédents. Mais, comme la mer érode inéluctablement le littoral, le temps produit le même effet de lissage sur la musique de Roxy Music. Insensiblement. Par petites touches. Un saxophone toujours aussi présent mais moins strident. Un chant toujours aussi sensuel mais moins ironique. Des chansons qui rentrent dans le rang, moins décalées, plus lisses.
C’est d’ailleurs ce côté plus policé qui va plaire à la critique et au public de 1975. L’album est une collection de rocks très directs, sans trop de fioritures ni excentricités, à l’image de l’introductif ‘Love is a Drug’, efficace et très entraînant mais ayant perdu tout le caractère irrévérencieux et décalé des premiers albums au profit d’un standard bien commercial. Encore qu’après un début plutôt réussi (les trois premiers titres), le reste du disque sera un peu en dents de scie, alternant mélodies accrocheuses (‘She Sells’, ‘Both Ends Burning’) ou plus banales (‘Whirlwind’, ‘Could it Happen to Me’, ‘Nightingale’, ‘Just Another High’).
Pratiquement tous les titres suivent la même construction tournant autour d’une ou deux phrases musicales répétées à l’envi, introduisant une bonne dose de monotonie malgré tout le charisme dont le groupe est capable. Tout semble trop contrôlé, trop destiné à donner envie de danser gentiment (ce en quoi le but est atteint) mais l’ennui rôde sur les titres les moins inspirés et, si l’album s’écoute sans déplaisir, c’est aussi sans la moindre émotion.
En gommant la folie douce de ses débuts, Roxy Music délivre un album moyen à force d’être trop lisse et trop propre. Plus consensuel assurément, et par là destiné à plaire à un plus grand nombre d’auditeurs, mais bien moins original que ce à quoi le groupe nous avait habitués. Virage "commercial" voulu par Bryan Ferry et qui ne fera que s’accentuer sur les albums à venir.