L'histoire du RPI (rock progressif italien) est émaillée de nombre de groupes éphémères qui, après avoir produit un album aussi unique qu'intéressant, disparaissent dans l'oubli. Locanda Delle Fate ne déroge pas à cette tradition transalpine. Le trio qui le créée au milieu de l'année 1970 (Oscar Mazzoglio, Luciano Boero et Giorgio Gardino) joue d'abord des reprises de Deep Purple et Led Zeppelin mais, la formation s'enrichissant de quatre nouveaux membres, s'attaque rapidement au répertoire progressif (Genesis, Yes, King Crimson) avant de se lancer dans l'interprétation de ses propres compositions. Un nombre suffisant de celles-ci permet au groupe d'enregistrer son premier album, "Forse le Lucciole Non Si Amano Più". Malheureusement, le disque paraît en 1977, une période peu propice au rock progressif, dénigré par les punks et délaissé par le grand public. Locanda Delle Fate tirera rapidement la conclusion logique de son insuccès et, n'ayant le choix qu'entre changer de style ou se séparer, choisira la seconde solution.
Dommage, pourrait-on dire à l'écoute d'un disque qui restitue merveilleusement l'esthétisme et la poésie d'une époque où l'on croyait encore à des niaiseries comme l'amour et les fleurs (bleues), où l'on appréciait le plaisir simple du chant des oiseaux, du soleil sur la peau ou du vent dans les arbres. Où l'on avait aussi la naïveté de penser que des temps meilleurs étaient à venir (l'avenir prouvera qu'il s'agissait réellement de naïveté).
Le ton est donné dès le titre introductif, un instrumental surtout dominé par des claviers tant acoustiques qu'électriques qui enchaînent des thèmes mélodieux et solaires dans une veine toute camelienne. Puis le titre éponyme voit l'entrée d'un chant viril et légèrement rocailleux dont la péninsule italienne a le secret. Leonardo Sasso n'en fait cependant pas trop dans le genre ténébreux romantique, évitant la caricature, même si parfois cette retenue se transforme en transparence, l'interprétation peu charismatique n'habitant pas tout à fait comme on le souhaiterait les compositions.
Si le chant n'est pas toujours aussi convaincant qu'il le faudrait, ce n'est certes pas le cas des claviers, et notamment du piano, dont les interventions aussi cristallines que virtuoses parent l'album d'une délicatesse romanesque. Il faut dire que le groupe compte dans ses rangs deux claviéristes titulaires, parfois aidés à l'orgue Hammond par le bassiste. Même si les cordes bénéficient de la parité, disposant elles aussi de deux musiciens dédiés, les guitares se font plus discrètes (mais pas absentes), n'intervenant que sur de courts solos et ne s'imposant réellement en tant qu'instrument lead que sur "Non Chiudere a Chiave le Stelle", à mi-chemin entre la berceuse et le chant religieux. Pour n'oublier personne, précisons que le duo rythmique est aussi efficace que discret, prouvant qu'il n'est pas utile d'être bruyant ou exagérément démonstratif pour être remarquable, et qu'une flûte bucolique vient souvent mêler ses arabesques à celles du piano. La production, particulièrement claire pour l'époque, restitue un son précis sans pour autant être froid.
Les compositions ont ce charme mélancolique et cette délicatesse un peu surannée des premiers albums de Genesis ("Trespass", "Nursery Cryme", "Selling England by the Pound") ou du King Crimson de 'I Talk to the Wind', 'Moonchild' et autres 'Peace'. Des harmonies finement ciselées où s'entremêlent les différents instruments baignent l'auditeur dans une douce atmosphère qui respire la nostalgie de moments heureux mais enfuis. Tous les titres, aussi beaux les uns que les autres, se ressemblent pourtant un peu trop, au point qu'il est bien délicat d'en sortir un du lot.
Ce bien bel album restera (presque) sans suite, déjà démodé lors de sa sortie. La tentative de reconversion du groupe dans un format plus pop, matérialisé par le titre bonus 'New York', fera long feu, ce qui, à l'écoute de ce morceau, n'est finalement pas bien grave. "Forse le Lucciole Non Si Amano Più" ravira tous les mélomanes nostalgiques des raffinements musicaux dont Genesis, Gentle Giant, Camel, le King Crimson mélodieux, Yes, se faisaient les champions au début des années 70.