1971: Avec son live "At Fillmore East", le Allman Brothers Band touche enfin les fruits de ses années passées sur les routes et reçoit la reconnaissance que son talent mérite. Sans perdre de temps, la formation de Macon (Georgia) retourne en studio pour enregistrer un nouvel album qui devrait lui permettre de s'installer définitivement sur les sommets du rock. Tout semble se présenter sous les meilleurs auspices lorsqu'arrive ce 29 novembre. Alors qu'il roule à moto sur les routes de sa Géorgie natale, Duane Allman heurte un camion qui freine violemment devant lui et décède des suites de ses blessures dans les heures qui suivent. Les membres du groupes, et pas seulement Greg, perdent un frère et la musique voit disparaître un des guitaristes les plus talentueux de toute son histoire. Peu de temps auparavant, dans une interview donnée à Rolling Stones, il déclarait, suite à une question au sujet du mouvement pacifiste : "Ce n'est pas une révolution, mais une évolution. Alors, à chaque fois que je rentre en Géorgie, je mange une pêche pour la paix !".
C'est en référence à cette réponse que le groupe décida donc de nommer le nouvel opus "Eat A Peach", premier hommage qui sera décliné logiquement tout au long de ce disque sous différentes formes. 'Ain't Wastin' Time No More' ouvre l'album en tant que déclaration posthume à Duane. Moins blues et plus rock, ce titre voit l'émotion transpirer de ses paroles, du chant de Greg, mais également du jeu de Dickey Betts qui n'hésite pas à jouer de la slide à la manière de son alter-ego disparu. "Eat A Peach" est en fait divisé en trois parties bien distinctes, composées chacune de trois titres. La première série voit le groupe présenter des morceaux écrits et enregistrés après la mort de Duane. A 'Ain't Wastin' Time No More' vient se rajouter l'instrumental 'Les Brers In A Minor' qui, avec une longue introduction de trois minutes et demi, étale son ambiance jazzy sur plus de neuf minutes avec le clavier de Greg qui remplace la guitare de Duane dans les harmonies avec Dickey Betts, auteur de ce titre. Encore une grande réussite du groupe dans ce genre si particulier. Enfin, la belle ballade mid-tempo 'Melissa' vient conclure ce premier tiers d'album dans une ambiance folk et mélancolique avec un chant particulièrement émouvant et un refrain envoûtant.
La seconde partie de l'album est composée de trois titres live tirés des enregistrements de "At Fillmore East" dont nous retiendrons particulièrement le monumental et bien nommé 'Mountain Jam'. S'appuyant sur la reprise du 'There Is A Mountain' de Donovan, cette improvisation s'étale sur plus d'une demi-heure, proposant de nombreux soli sans jamais sombrer dans le démonstratif et surtout, sans que l'auditeur ne voie le temps passer. Plus traditionnelles, les reprises du 'One Way Out' d'Elmore James, et du 'Trouble No More' de Muddy Waters (déjà présent sur le premier album éponyme du groupe en 1969) n'en sont pas moins réussies, la première laissant à nouveau découvrir les qualités du chant de Greg Allman. Enfin, le dernier tiercé nous offre trois titres composés et enregistrés avec Duane avant son décès. Si 'Stand Back' se révèle finalement assez classique dans un domaine plutôt rock, 'Blue Sky' et 'Little Martha' s'imposent comme deux nouvelles pépites finement ciselées. Chanté par Dickey Betts, 'Blue Sky' bénéficie d'un refrain attachant, mais c'est surtout le superbe travail des guitares qui en fera sa réputation. Dans un registre countrysant, elles s'harmonisent, s'entremêlent et se répondent dans une véritable démonstration de complicité et de complémentarité. Enfin, 'Little Martha' clôture cet opus en douceur sur à peine plus de deux minutes d'un simple instrumental à deux guitares à la mélodie qui, selon la légende, aurait été inspirée à Duane par Jimi Hendrix lors d'un rêve.
Au-delà de son statut d'hommage à son fondateur disparu, "Eat A Peach" se révèle également un album charnière pour le Allman Brothers Band qui semble vouloir prendre une orientation un peu plus rock avec des compositions plus "simples". Confirmée par les titres composés après le décès de Duane, cette évolution est déjà perceptible dans ceux enregistrés avec le guitariste au préalable. Si le désormais quintet fait ici preuve d'une grande force morale face à cette dure épreuve, il reste à souhaiter qu'il pourra maintenir son niveau d'excellence pour la suite, une fois le deuil réellement digéré.