A force de jouer avec les forces du mal, Lordi a bien failli finir par en payer le prix fort. En effet, le successeur de l'excellent "Scare Force One" (2014) aurait dû paraître au mois de mai 2016, mais les monstres finlandais ont eu à faire face à une suite de contretemps allant du décès du père de Mr. Lordi au désistement de dernière minute de Mikko Karmila qui devait produire cet opus. C'est donc avec quatre mois de retard que va paraître ce "Monstereophonic (Theaterror Vs Demonarchy)" finalement produit par Nino Laurenne. Résultat de la dernière coopération avec ce dernier, "Deadache" (2008) était probablement l'opus le plus faible du quintet originaire de Rovaniemi. Pourtant, l'appréhension occasionnée par ce constat va vite être balayée par l'écoute de la nouvelle offrande sanguinolente des vainqueurs de l'Eurovision 2006.
En effet, sans révolutionner son identité, ni sa musique, Lordi se fait surprenant sur ce "Monstereophonic (Theaterror Vs Demonarchy)" dont les deux visages sont symbolisés par les nouveaux masques des membres du groupe. La première moitié de l'album se veut relativement classique avec la traditionnelle introduction cinématographique et des titres dont la durée tourne autour des quatre minutes. Classique mais toujours aussi efficace avec des refrains encore hyper accrocheurs et une production puissante et claire à la fois. Les claviers de Hella s'y imposent à nouveau comme une arme redoutable. La poupée diabolique dégaine ainsi une ritournelle obsédante sur un ' Let's Go Slaughter He-Man (I Wanne Be The Beast-Man In The Masters Of The Universe)' qui possède d'autres qualités que son titre interminable. Elle vient également flirter avec une approche symphonique à la Nightwish sur 'Down With The Devil', et apporte une touche FM délicieusement rétro à l'efficace 'None For One'. Parmi toutes ces pépites irrésistibles, nous retiendrons également le lourd et sombre 'Mary Is Dead', et surtout la véritable tuerie que représente un 'Hug You Hardcore' au riff digne d'une tronçonneuse en action et intégrant quelques légères touches indus.
Après la face aussi classique qu'efficace, les Finlandais étonnent leur auditoire avec une seconde partie conçue tel un concept narrant la guerre que se livrent un vampire, une sorcière, un zombie et un loup-garou pour s'approprier une ville. Le principe du concept-album n'a rien de révolutionnaire en soi, mais il représente une véritable nouveauté et une prise de risque pour Lordi, qui plus est, sous la forme d'un demi-album. Bien que lancé par une nouvelle introduction, comme chaque album de la carrière du groupe, cette suite, intitulée 'Demonarchy', voit le quintet s'éloigner de ses habitudes en étirant les titres sur plus de cinq minutes, en variant les tempi et les ambiances, flirtant avec le metal progressif et s'éloignant ainsi de l'approche directe dont il est coutumier. Moins immédiats, les titres méritent ici plusieurs écoutes pour en saisir les variations et la richesse. On y découvre ainsi des éléments dignes du heavy-speed allemand avec le riff cinglant de 'Demonarchy', ou un 'Heaven Sent Hell On Earth' alternant couplets calmes et refrains au riff saignant. 'And The Zombie Says' se fait théâtral, sombre et envoûtant alors que 'Break Of Dawn' offre une brutalité rarement atteinte par le combo. Enfin, 'The Night The Monsters Died' s'étale sur plus de sept minutes, démarrant tel un mid-tempo avant de balancer quelques accélérations ravageuses.
Ceux qui pensaient que plus aucune surprise ne pouvait venir de Lordi en seront donc pour leurs frais, sans que les amateurs des apôtres du monster-metal ne soient déstabilisés pour autant. Entre une première partie classique mais pas sclérosée, et un concept intégrant juste ce qu'il faut d'éléments progressifs pour être à la fois ambitieux et abordable, cet opus pourrait se révéler être le sommet de la carrière de Lordi. Il reste désormais à espérer que les Finlandais réussiront à se maintenir à ce niveau en continuant à doser accroche et évolution avec autant de subtilité et d'efficacité.