Après un "Pneuma" (2012) réussi quoique inégal, le trio grec Hail Spirit Noir revient en 2014 sur le devant de la scène avec un nouvel album, "Oi Magoi", qui plonge une fois encore ses racines au cœur d'un matériau dual et paradoxal, le rock progressif des seventies et le black metal.
Cet accouplement surprenant, contre-nature peut-être, et dont le fruit ne pouvait être que monstrueux, génère néanmoins une beauté vénéneuse, mélancolique et douloureuse, à l'image de 'Satyriko Orgio (Satyrs' Orgy)', pièce aussi sauvage que mélodieuse qui voit s'affronter en sa section centrale les mânes de Gong et Satyricon. C'est même l'ensemble de l'album qui repose sur cette délicate alchimie, équilibre fragile maintenu par une belle maîtrise de l'écriture et le maniement virtuose de la science des contrastes.
Cette rigueur n'empêche pas "Oi Magoi" de se déployer dans maintes directions, dépliant ses différentes strates jusqu'à constituer de véritables labyrinthes hantés par les mélodies sensuelles des claviers et des chœurs, tapissés de riffs agressifs et virevoltants, faillés de gouffres ténébreux desquels surgit le chant de Theoharis, tour à tout éructé et incantatoire. 'Blood Guru', avec son entame art-rock, mais aussi 'Demon For A Day' et 'Hunters', en dépit de légères différences structurelles, s'arriment toutes trois à cette esthétique aussi chaotique qu'élégante.
Mais c'est bien avec le mélancolique et liturgique 'Satan Is Time', sur lequel planent les ombres entremêlées de Ghost, Orne et Astra, et surtout 'The Mermaid', épique de onze minutes cousin des plus belles pièces d'Ancestors, que l'album atteint ses sommets. Ce dernier titre, après une introduction très genesienne, déploie son (black) rock progressif le long d'intenses et charnelles envolées instrumentales que le chant, à la fois clair et hurlé, porte plus haut encore. Les quatre minutes terminales, étourdissantes variations autour des deux thèmes principaux du morceau, peuvent s'apprécier comme un condensé parfait de l'ensemble de l'album, entre soli véloces et harmonieux, sons de cloches psychédéliques, riffs arpégés dignes d'un Opeth post-2010, agressivité latente, ombre et lumière.
Hail Spirit Noir, avec ce deuxième album, a su gommer les défauts du premier et tempérer la fougue qui pouvait le porter à de maladroites digressions, afin de mieux se recentrer sur l'impact émotionnel de chacune de ses mélodies. Ce faisant, il propose l'une des plus convaincantes fusions qui soient entre prog psychédélique et black metal moderne.