Conforté dans l’idée de s’orienter avec "Collage" (1971) dans la mouvance progressive adolescente de l’époque après avoir fait ses armes dans un genre pop psychédélique, Le Orme sort en 1972 "Uomo Di Pezza" avec lequel il allait s’imposer comme l’un des fers de lance de ce style dans leur pays et au-delà des frontières transalpines.
Pierre angulaire du progressif italien sur les bases initiées par "In The Court Of The Crimson King" des Anglais de King Crimson sorti trois ans plus tôt, et à l’instar de leurs confrères PFM, "Uomo Di Pezza" s’inscrit dans cette veine en y mêlant des sonorités issues de la musique classique, développant ainsi avec maestria un style personnel se démarquant d’ELP, avec lequel Le Orme est souvent comparé à tort ou à raison. Toutefois, c’est dans l’absence de démonstrations virtuoses et d’improvisations alambiquées que le groupe se distingue des Anglais. Dans un format assez court (35 minutes) mais courant à l'époque, Le Orme s’ingénie à construire des titres concis propices à transmettre des émotions immédiates, pour peu que l’on soit sensible au genre, sans fioritures ni circonvolutions superfétatoires.
Bien que n’étant pas à proprement parler un concept album, l’album raconte en sept chapitres des histoires de femmes trahies, abandonnées, à la fois fragiles et fortes en opposition à l’homme à l’image immature et violente. Le thème ouvre le champ à des ambiances feutrées et intimistes dans lesquelles Le Orme s’engouffre brillamment.
Dès l’ouverture, ‘Una Dolcezza Nuova‘ prend l’auditeur en main grâce aux notes prolongées de l’orgue classique auxquelles viendront se substituer celles du piano tout en arpèges soutenant le chant clair de Aldo Tagliapietra. L’atmosphère revêt alors un romantisme lancinant s’élevant vers des hautes sphères planantes et éthérées. De classique, il en sera aussi question tout le long du titre suivant 'Gioco Di Bamba' aux allures de chanson traditionnelle italienne de l'époque Renaissance. Ce titre sera un succès pour le groupe. 'La Porta Chiusa' et 'Alienazione' qui clôt l'album illustrent le travail de Le Orme en terme de recherche de spectre sonore et d'expérimentation. Il eût été tentant de partir en improvisations lassantes mais la force du groupe est de savoir rester au service de la mélodie, privilégiant la fluidité tout en apportant un côté épique. 'Alienazione' notamment pousse loin ce travail en trouvant une tonalité proche de la folie, hypnotique et schizophrène, correspondant parfaitement au titre. Enfin, Le Orme se permet de retrouver ses racines pop psychédélique dans 'Aspettedo d'Alba' au refrain mémorisable et prenant.
Avec "Uomo Di Pezza", Le Orme tisse un rock progressif traditionnel tout en étant à la fois légèrement aventureux et accessible. Rempli d'émotions collant au thème, cet album constitue l'un des premiers trésors du groupe qui sera concrétisé un an plus tard par leur pièce maîtresse "Felona E Sorona".