Cela fait maintenant une quinzaine d'années que Truckfighters répand la bonne parole du Sacro Saint Riff, pilier suédois de l'Eglise Stoner, à grands coups de bûches velues ("Gravity X" en 2005, chez le mythique MeteorCity, pour n'en citer qu'une et peut-être la meilleure) et de tournées mémorables, terrains de jeu idéals pour son trip au goût prononcé de fuzz et de sueur. Les gars ont même eu droit, comme les grands à un documentaire les suivant dans la vie de tous les jours, c'est dire à quel niveau de notoriété ils sont parvenus, sorte de version scandinave du desert rock US à la Fu Manchu et Queens Of The Stone Age dont le leader Josh Homme ne tarit d'ailleurs pas d'éloges à leur sujet.
Flairant le bon coup, Century Media qui, après Motorowl, semble vouloir miser sur l'authenticité d'un rock pur et dur, ne s'y est donc pas trompé en les signant, alliance que scelle aujourd'hui ce "V" forcément très attendu, deux ans après un "Universe" d'excellente mémoire, quasi évolutif dans son approche du genre. Alors qu'elle devrait lui conférer une exposition supplémentaire dont on peut se demander quand même si elle lui apportera vraiment quelque chose, cette union avec une écurie plus puissante que ne l'est Fuzzorama Records, son propre label, signifie-t-elle que Truckfighters ait décidé de limer encore davantage ses griffes, évolution entamée depuis au moins "Mania" en 2009 ?
Autant dire que la première partie du bien nommé 'Calm Before The Storm', amorce longue de plus de huit minutes, paraît vouloir confirmer ce glissement vers une musique plus lisse voire presque pop. Chant velouté du bassiste Ozo, tempo tranquille et lignes de guitare doucereuses bercent ainsi l'auditeur qui se demande presque s'il ne s'est pas trompé de rondelle, même si cette délicatesse n'est pas nouvelle pour les Suédois. Pour autant, le reste du morceau révèle nombre de subtilités, durcit plusieurs fois ses traits et s'élève parfois très haut vers les étoiles grâce à ses courbes stratosphériques.
Les grosses pattes de bûcheron surgissant dès le titre suivant, ce 'Hawkshaw' pourtant lui aussi tout en progression et en ambiguïté, il serait alors tentant d'énoncer que cette entame est l'arbre qui cache la forêt, selon l'expression consacrée. En fait, il n'en est rien car tout du long ce menu ramassé joue à l'équilibriste entre peau lissée et grains rugueux. Si, de par son architecture basée sur des morceaux au format dilaté et ses modelés sinueux, il semble de prime abord s'inscrire dans le sillage de "Universe", ce cinquième opus n'en est pas du tout une simple resucée et donc encore moins un retour en arrière.
Au contraire, il trace son propre chemin, une nouvelle voie, au risque peut-être de décevoir ceux qui ne jurent que par les riffs gros comme des jambons, que le groupe n'oublie pourtant pas, témoin ce 'The 1' qui doit beaucoup de sa force pulsative à la frappe groovy de Enzo dont il faut souligner le travail mais, peaufinant toujours davantage son art, Truckfighters privilégie plus que jamais une écriture dynamique au service d'ambiances aériennes voire spatiales ('The Contract'). Chacune de ces sept compositions s'aventure sur un terrain faussement fragile, au relief accidenté que fissurent de nombreuses crevasses, à l'image du terminal et grandiose 'Storyline', qu'illumine le chant racé de Ozo et dont les atours apaisés alternent avec une lourdeur ultra heavy en un grand huit émotionnel. Si cette ambivalence court tout du long, elle trouve peut-être sa plus belle et parfaite expression dans ce 'Gehenna', tout en grâce fébrile et terreuse à la fois.
Réclamant maintes plongées dans son intimité pour en goûter le précieux suc, "V" démontre que Truckfighters, outre le fait qu'il mérite amplement son succès, a su dépasser le statut de simple groupe de stoner à la mode pour affirmer une identité qui n'appartient qu'à lui et se maintient en perpétuelle évolution.