Neal Morse avait créé la surprise en sortant l’année dernière un album non pas sous son nom mais sous celui du collectif The Neal Morse Band. Bon, d’accord, il y a "Neal Morse" dans le nom du groupe, mais à l’écoute, cela faisait quand même une sacrée différence. Aux reproches, justifiés, que sa patte, aussi géniale et inspirée soit-elle, finissait par être un peu trop prévisible, Neal Morse opposait une idée simple mais géniale, elle aussi : se fondre dans un vrai collectif pour insuffler un vent de nouveauté à ses compositions dont le niveau d’excellence ne s’est jamais démenti depuis le fondateur "The Light" avec Spock’s Beard.
"The Similitude of a Dream" reste dans ces mêmes excellentes dispositions. Intelligemment, Neal Morse ne se limite pas à de la cosmétique mais joue une nouvelle fois le jeu à fond. Certes, c’est lui qui initie ce double album en composant les premières ébauches, mais celles-ci sont enrichies des contributions des autres membres qui ne se privent pas de proposer leurs propres compositions. Résultat, un changement dans la continuité. Si certains titres ou passages portent une signature aisément reconnaissable, rappelant tour à tour "Testimony" (‘Long Day’, ‘Breath of Angels’, ‘Shortcut To Salvation’, ‘Broken Sky/Long Day Reprise’), "Sola Scriptura" (‘Overture’, ‘City of Destruction’, ‘Back to the City’, ‘Confrontation’) ou "Snow" (‘The Man In The Iron Cage’), d’autres introduisent une note de nouveauté qui surprend agréablement. ‘Makes no Sense’ commence comme un vieux Beatles, la mélodie bondissante et les nombreux chœurs de ‘The Ways of a Fool’ ressemblent à un mélange d’Electric Light Orchestra et des Beach Boys, le hard rock/heavy metal de ‘Slave to Your Mind’ fait penser à Deep Purple et Uriah Heep. Quant à ‘I'm Running’, on le jugerait sorti tout droit de "Quadr ophenia" (The Who).
De ce fait, si l’auditeur se retrouve dans un univers qui lui semble familier, ce n’est jamais pour longtemps et il se trouve happé par une musique d’une richesse inouïe, extrêmement mélodieuse et dynamique mais sachant réserver des moments de quiétude mélancolique, à la qualité d’écriture sans faiblesse (il est bien difficile de trouver un passage dispensable de tout l’album). Les nombreux mouvements symphoniques alternent avec des airs heavy metal (‘Back to the City’, ‘Slave to Your Mind’) ou hard rock (‘Draw the Line’), eux-mêmes cohabitant avec des instants plus soft tirant vers le folk country (‘Freedom Song’), voire la pop (‘The Ways of a Fool’).
Tout cela est extrêmement bien interprété par des musiciens au sommet de leur art, et les compositions comme la production, au top elle aussi, permettent d’apprécier tour à tour claviers, guitares, basse et batterie sans faire de jaloux. Le partage des vocaux entre Neal Morse et Eric Gillette est judicieusement reconduit, et même élargi à des contributions lead de Bill Hubauer et Mike Portnoy, donnant à l’album un côté opéra-rock très agréable, de nombreux titres introduisant des dialogues entre les différents protagonistes, fréquemment rehaussés de chœurs convaincants.
Le concept s’inspire d’un livre de John Bunyan intitulé "The Pilgrim’s Progress" (de son vrai titre "The Pilgrim’s Progress from this world to the that which is to come, delivered under the similitude of a dream”) racontant le voyage spirituel d'un homme qui se nomme Christian depuis une Cité de la Destruction (la Terre) jusqu’à la Cité Céleste. Comme d’habitude chez Neal Morse, la trame est religieuse mais, délaissant le côté prêcheur qui en gênent certains, peut s’interpréter comme une quête spirituelle plus universelle.
Mike Portnoy, très enthousiaste, a affirmé que cet album était le summum de sa carrière, digne de figurer aux côtés de "The Wall" des Pink Floyd et de "Tommy" des Who. Si seul l’avenir dira si "The Similitude of a Dream" est voué à la postérité, mes quelques écoutes m'incite à donner raison aux propos du batteur : The Neal Morse Band vient de produire un chef-d’œuvre !