Il y a des albums dont la force émotionnelle vous transporte et des écoutes dont on ne sort pas indemne. Chris Hathcock (ex-Torture Cell, ex-Wearwolves), multi-instrumentiste américain, a eu la douleur de perdre un être cher. Eve, son amie d'enfance, a mis fin à ses jours au début des années 2000. Projet mûri depuis près de 10 ans, "On the Eve Of A Goodbye" raconte les dernières heures de cette tragédie du point de vue de Chris et de son amie.
Ce concept de départ est rythmé par des petites pièces narratives qui entourent les titres proprement dits. '24 Hours Left', '19 Hours Left', '2 Hours Left' participent à la dramaturgie de l'œuvre et contribuent au déroulement chronologique de l'histoire. Musicalement, Hathcock durcit son propos par rapport à son premier album sous la bannière The Reticent et propose un metal progressif protéiforme au chant tantôt clair tantôt death rappelant fortement Opeth, de nombreux passages instrumentaux se rapprochant également du combo suédois ('The Girl Broken', ou 'The Postscript').
La première partie de l'album enchaîne des titres de metal progressif sombres aux riffs saccadés et intenses. Les textes expriment le mal-être d'Eve et l'ensemble est assez poignant. Plus on se rapproche du moment fatidique et plus les titres montent en émotion. La voix death rageuse de Hathcock exprime clairement la colère et la douleur que chacun ressent. 'The Comprehension' et 'The Confrontation' marquent un tournant musical et narratif de l'album, où acceptation et compréhension sont les thèmes abordés, là encore dans le registre d'un Opeth, mais avec des cuivres qui reforment la dualité des sentiments. L'inquiétant break au saxo lointain du second de ces titres plonge l'auditeur au cœur du chaos de l'histoire.
Techniquement, Hathcock, qui s'occupe de tout, est au top dans tous les domaines à commencer par la batterie, son poste dans son précédent groupe. Mais le bonhomme n'est pas en reste sur les autres instruments et les parties de guitares, si elles présentent peu de solos, sont très présentes ('The Postscript' ou sur l'excellent 'The Hypocrite'). Les passages en voix claire ont tendance à se ressembler un peu à l'exception du chant sur 'The Mirror's Reply' où la ressemblance vocale avec Mickael Akerfeldt est saisissante et fort agréable.
L'album atteint son sommet émotionnel à partir de '2 Hours Left' sur lequel Eve, magistralement jouée par Amanda Caines, s'adresse à son ami et lui annonce sa décision qu'elle s'apprête à mettre à exécution (sans mauvais jeu de mots). S'ensuit un 'The Decision' sur lequel résignation et colère s'entremêlent sur un mid-tempo aux deux types de chants alternés avant un break mélancolique. Par des derniers instants en voix plaintive empreinte d'une émotion toute authentique, Hathcock nous fait ostensiblement comprendre qu'il a été au cœur du drame tant son interprétation respire la sincérité. Le déferlement cacophonique du final marque l'instant fatidique. La fin de l'album est plus calme et plus triste encore avec un 'Funeral for A Firefly' d'une beauté et d'une profondeur extrême s'achevant sur l'air d'un Amazing Grace lourd de sens. 'The Day After' marque, par un chant mélancolique, toute la peine que provoque la perte d'un être cher.
The Reticent réalise l'amalgame idéal entre musique et histoire. Le genre se prête à merveille à la narration et Hathcock en joue parfaitement, maîtrisant les ambiances et les émotions en les mêlant habilement à sa musique pour nous plonger dans son monde, dans sa tristesse, et l'accompagner dans son deuil. "On The Eve Of A Goodbye" est l'œuvre d'une vie, un album qui fera date dans la carrière du jeune musicien dont la sincérité est poignante tout au long de l'album. Il marquera également les esprits car nul ne saurait sortir indemne d'une telle écoute, prenant l'auditeur aux tripes et stimulant les émotions les plus viscérales au fond de chacun d'entre nous. The Reticent signe un album magnifique, rageur, sombre, triste, criant d'authenticité et de vécu.