Posséder plusieurs têtes n'a guère réussi à l'hydre de Lerne. Pourtant moins monstrueux, Curved Air, avec ses deux voire trois têtes pensantes, allait connaître un même sort tragique. Après un premier album acclamé pour sa fraîcheur et son originalité, le groupe mené par sa fringante chanteuse Sonja Kristina doit livrer au plus tôt sa deuxième copie, alors qu'un nouveau bassiste vient de rejoindre le groupe. Très vite, des conflits d'intérêt opposent Francis Monkman et Darryl Way. Qu'à cela ne tienne, chacun aura droit à une face d'album.
Ce deuxième album, au titre dépourvu d'imagination, réunit les mêmes ingrédients que le précédent. Darryl Way et Francis Monkman se livrent une bataille interposée tandis que Sonja Kristina sert de réconciliatrice. Le premier produit moins de soli de violon mais l'intensité est intacte à l'image des très gracieuses ballades 'Jumbo' et 'Puppets' (sur laquelle il joue aussi du piano), magnifiées par la voix douce de Sonja Kristina. Francis Monkman livre à nouveau des riffs puissants de guitare comme sur l'inaugurateur 'Young Mother' (sur lequel il produit également un solo de clavier plus électronique), sur le tube quasi funky 'Back Street Luv' ou encore l'aventureux 'You Know', tantôt hard, tantôt blues. La voix de Sonja Kristina semble plus aérienne que naguère, comme si elle planait autour de nos hémisphères, venant nous conter à l'oreille des histoires d'âmes en peine ('Young Mother', 'You Know') et d'autres plus douces (les deux ballades citées plus haut).
En aucun cas, cet album n'est un copié-collé du précédent. Le groupe passe la quatrième vitesse sur la seconde face dévolue à Francis Monkman. Deux titres au tempo rapide 'Everdance' et 'Bright Summer's Day'68' (qui utilise un clavecin pour évoquer une époque révolue) servent de rampe de lancement à l'exercice tant attendu : en effet, le claviériste a rangé sa guitare et a décidé de franchir une nouvelle étape, en réalisant une suite (passage obligé pour tout groupe de rock progressif). 'Piece Of Mind' débute sous les auspices lugubres des percussions et du violon (paradoxalement, Darryl Way se fait plus entendre sur cette seconde face que sur celle qui lui était dévolue) sur lesquels la voix douce de Sonja Kristina relate un cauchemar. Le morceau s'emballe ensuite sous la poussée du piano et nous conduit à un premier sommet où l'intensité de la voix et du violon se rejoignent. Le piano sert de relais à un nouveau duo voix-violon, avant que le synthétiseur VCS3, après une brève averse, vienne nous offrir une conclusion faussement apaisée.
'Second Album' fait à nouveau montre de qualités propres au groupe. Avec sa longue suite et un tube ('Back Street Luv'), tout aurait pu aller pour le mieux. Hélas de mauvaises critiques (plutôt injustifiées à l'écoute de l'album) et ce conflit fraternel de leadership annoncent le futur clash qui pénalisera le groupe.