Le précédent album avait déclenché un conflit fratricide entre Darryl Way et Francis Monkman, à tel point que chacun avait dû s´accaparer une face de l´album. Si cette formule à l´apparence bancale avait pu fonctionner sur le précédent album, invoquer à nouveau cette construction pourrait paraître comme un aveu de faiblesse ou au contraire de folie comme le suggère le titre, inspiré de Lewis Carroll.
Après une éreintante tournée américaine n'ayant pas rempli toutes ses promesses, le groupe a multiplié les déboires (le bassiste Ian Eyre est tombé subitement malade et a été remplacé par Mike Wedgwood) et les crises de nerfs (Francis Monkman devenant de plus en plus angoissé). Ce climat d´incertitude, de doutes, empreint de paranoïa, donne un ton plus sombre à l'album, à l'exception d'une explosion de joie finale (ou de délire) sur 'Once A Ghost, Always A Ghost' avec ses percussions endiablées et son chant volontairement mixé aux portes de l´inaudible.
Généralement, une ambiance funèbre nimbe cet album. Les nappes de claviers de Darryl Way évoquent un monde de brouillard, tandis que les guitares tranchantes de Francis Monkman apportent un peu de dérèglement sur 'Marie Antoinette'. L'influence des jours heureux se retrouve sur la ballade 'Melinda More Or Less' sur laquelle Sonja Kristina joue de la guitare accompagnée d'un poignant solo de violon et d'un clavecin, tandis que la grandiloquente introduction de 'Not Quite The Same' inspirée du classique est perturbée par un solo démentiel de synthétiseur sur lequel on peut retrouver des airs de Keith Emerson. Jamais Sonja Kristina n'a aussi bien chanté sur ces morceaux évoquant des laissés-pour-compte qui sombrent dans la folie ('Not Quite The Same') ou la mort (sur 'Marie Antoinette', au-delà de toute vraisemblance historique). Sa voix, tour à tour sussurante, implorante, fragile ou rapide sur le tube éponyme, se révèle en accord avec le climat morbide ambiant.
La rivalité entre les musiciens se change en une joute musicale de haute volée. Darryl Way ouvre les hostilités avec un 'Cheetah' sur lequel son jeu de violon se fait virtuose. Il reprend également son morceau fétiche 'Ultra Vivaldi' en l´accélérant comme le faisait une Wendy Carlos (la fin est en totale roue libre). Mais c'est bien Francis Monkman qui se place à nouveau en position de favori avec une face B particulièrement oppressante. Curved Air s'essaie à l'expérimentation sur 'Whose Shoulder Are You Looking Over Anyway', faisant passer l'auditeur au-delà d'un miroir sensoriel où les voix sont déformées et les sons stridents. Enchaînée à ce morceau déjà éprouvant, une seconde pièce justifie l´écoute (pour ceux qui en doutaient) et l'achat de cet album. 'Over And Above' s'ouvre comme un carnaval de la folie sous la poussée permanente des percussions et du violon. Sonja Kristina participe avec sa voix fantomatique à ce tour de force stravinskien.
"Phantasmagoria" clôt le premier Âge d'or d'un groupe injustement sous-estimé. La lutte entre Monkman et Way permet ici d'accoucher d'un album triste et oppressant. Malheureusement, en partant chacun sous de nouveaux cieux en laissant les clés du temple à Sonja Kristina, les principaux protagonistes ont tué dans l´œuf la créativité de ce groupe qui aurait mérité plus d´attention.