Quoique moins culte et matriciel que lui, le death metal finlandais a lâché ses premiers rots en même que son voisin suédois. Funebre, dont l'unique album, "Children Of The Scorn" (1991), a été produit, rappelons-le, par un certain Timo Tolkki (Stratovarius), Sentenced et bien entendu Amorphis, pour n'en citer que trois parmi les plus fameux, ont ainsi très tôt, dès la fin des années 80, participé à l'érection d'un tertre morbide dont les formes pesantes le rapprochent finalement presque davantage du doom que du death pur jus.
Ce qui se vérifie plus nettement chez le troisième membre du triumvirat susmentionné, lequel a toujours cultivé sa différence, d'abord en préférant aux habituelles histoires de zombies un récit ancré dans le patrimoine national, puis en gommant peu à peu ses racines extrêmes pour aller braconner sur des terres plus atmosphériques ("Tuonela") voire carrément progressives ("Far From The Sun"), avant de renouer avec une certaine dureté à partir de "Eclipse" (2006). Mais nous n'en sommes pas encore là.
En 1992, Amorphis, que le guitariste Esa Holopainen et le batteur Jan Rechberger ont fondé deux ans plus tôt, vite rejoints par le six-cordes (et alors chanteur) Tomi Koivusaari et le bassiste Olli-Pekka Laine, macère pleinement dans un suint purulent. En dépit d'un son fétide qui sent bon les boyaux éviscérés, d'un accordage plus bas que terre, "The Karelian Isthmus", son acte de naissance, annoncé par la démo "Disment Of Soul" (1991), dévoile néanmoins une identité déjà (presque) reconnaissable entre mille, comme en témoignent ces claviers déjà envoûtants ou ce sens immuable de la mélodie qui fait mouche, sans oublier ce riffing irrésistible et signature indélébile d'un Holopainen dont le jeu a toujours été la clé de voûte d'un édifice aux lignes élégantes. A ce titre, l'introductif 'Karelia' ne saurait tromper personne quant à son origine.
Ceci dit, les Finlandais sont alors encore loin du metal racé qui fera leur succès et le chant bien caverneux plonge ce premier album dans les profondeurs d'un abîme de noirceur et de tristesse qui en font le disque sinon le plus brutal (tout est relatif), au moins le plus lourd du groupe. Bien que percées par quelques furieuses accélérations ('Black Embrace', 'Vulgar Necrolastry' à l'entame véloce), ces compositions sont comme prisonnières d'une gangue de plomb qui les cloue dans cette terre gelée chargée d'histoire et de folklore.
Solide et aucunement maladroit, "The Karelian Isthmus" pose les fondations qui serviront à l'édification du référentiel "Tales From The Thousand Lakes", dont il est une manière d'ébauche, riche de ce charme de la première fois mais inférieur cependant à son successeur lequel, d'un autre niveau, installera Amorphis sur le trône du death finlandais.