Les albums posthumes restent le meilleur moyen d'exploiter le filon de stars décédées en surfant sur leur popularité et exhumant de vieux enregistrements ré-arrangés. Après deux albums de ce type boudés par le public en 1972 et 1974, le groupe éclate. Il se reforme temporairement pour "An American Prayer" en 1978. Mais cette fois-ci l'exercice est différent : n'ayant plus de matériel sous la main, ce sont des textes et des poèmes enregistrés par Morrison en décembre 1970 qui sont compilés et mis en musique par le reste du groupe au complet.
Et là, force est de constater que les Doors ne se sont pas foulés. A de rares exceptions près, les parties musicales ne sont pas des créations originales mais des bribes d'anciens albums pour "meubler" et mettre un son derrière les paroles. Seuls quelques rares titres bénéficient d'une composition originale, 'Black Polished Chrome', 'Latino Chrome', ou 'Curses Invocation'. C'est également le cas de 'An American Prayer' dont le thème est repris sur "Ghost Song" (ajouté sur l'édition de 1995), seule vraie réussite musicale de l'album sur laquelle le groupe montre l'étendue de son talent avec un mid-tempo groovy et entraînant. La voix de Morrison, sans chanter, se marie à merveille à l'ambiance musicale. Le titre marchera d'ailleurs très bien et l'accueil du public sera bien meilleur que pour les deux précédentes productions.
Cette réussite ne sera pas due aux performances du groupe puisque pour la plupart des titres, la mise en musique repose sur des passages d'anciens morceaux comme 'Peace Frog' servant de support à 'Newborn Awakening', ou 'Texas Radio and the Big Beat' pour 'Stoned Immaculate'. On reconnaîtra également au détour d'un poème 'Riders On The Storm', 'The End' et même l'Adagio d'Albinoni (sur 'A Feast Of Friends'). A noter également la présence d'un excellent enregistrement live de 'Roadhouse Blues', quelque peu gâché par un final où Morrison harangue la foule avec une allégorie sans queue ni tête sur l'astrologie.
Mais, à l'évidence, l'intérêt de ce "An American Prayer" est ailleurs. Il réside dans cette quinzaine de poèmes et ces quelques textes impeccablement enregistrés par Morrison. L'intonation de sa voix est grave, parfois caverneuse mais le ton est souvent léger et apaisé, correspondant à la période la plus sereine du groupe où ils ont été enregistrés. Morrison y aborde des thèmes plus ou moins intéressants (les passages sur ses parties génitales n'étant pas les plus palpitants) mais avec une intensité narrative exceptionnelle. Il aborde des thèmes chers au groupe et à sa personnalité protéiforme, la société, sa place dans le monde, ses rapports à la religion, etc.
Très bien écrits et interprétés avec intensité, ces poèmes sont accueillis par les fans comme une dernière offrande et l'ultime pierre à l'édifice de sa magistrale carrière. Ils contribueront à consolider la légende qu'il est déjà devenu à cette époque. Chacun y prendra ce qui lui conviendra mais cet ultime témoignage du talent brut de Morrison est une parfaite conclusion à sa carrière fulgurante et tourmentée, un instantané donnant une image différente de l'homme aux multiples talents qu'était Jim Morrison. Pour comprendre et apprécier le personnage, "An American Prayer" est une des clés les plus utiles - même si elle est, musicalement, l'une des moins abouties.