Si quelqu’un est en droit de revendiquer que "la valeur n’attend point le nombre des années", c’est certainement Kate Bush. Ayant commencé à composer ses premières chansons à treize ans, elle est repérée dès seize ans par David Gilmour qui la prend sous son aile, lui présente Andrew Powell qui produira ses deux premiers albums et lui obtient un contrat avec EMI. La jeune fille attendra néanmoins de devenir une jeune femme pour voir paraître son premier disque sur lequel elle aura travaillé trois ans.
A l’écoute du résultat, on se dit que ce délai aura été mis à profit par l’artiste, sur le berceau de laquelle des fées bienveillantes se sont à l’évidence penchées. Car si certains attendent le deuxième ou troisième album pour trouver maturité et succès, pour Kate Bush, le premier essai est le bon. Elle affirme avec aplomb une personnalité attachante et un brin excentrique, femme-enfant faussement naïve maniant aussi bien l’art de la séduction qu’une fantaisie débridée.
Pourtant, au départ, rien de bien original dans ces treize compositions au format balisé couplet/refrain et aux mélodies plus pop que rock. Si ce n’est justement l’extraordinaire personnalité de Kate Bush qui transforme la chanson la plus banale en pur moment d’émerveillement. Par quel coup de baguette magique ? Simplement par une interprétation vocale dont l’originalité n’a d’égale que la justesse. Dotée d’une amplitude impressionnante lui permettant de plonger dans les graves comme de monter avec une facilité déconcertante dans des aigus surréalistes, ce dont elle ne se prive pas, la chanteuse maîtrise en outre l’art de la modulation, envoûtant l’auditeur aussi sûrement qu’une sirène le ferait d’un marin imprudent. Qu’elle soit sensuelle, mutine ou mélancolique, son interprétation est toujours juste. Par ailleurs, son timbre volontiers acidulé lorsqu’il atteint des aigus piquants permet d’identifier à coup sûr Kate Bush du tout-venant gravitant dans le monde du rock.
Pour entourer l’artiste et son fidèle piano, Andrew Powell a convié quelques musiciens officiant au sein d’Alan Parsons Project (pour lequel il a arrangé plusieurs titres sur "Tales of Mystery and Imagination") et un orchestre (non crédité sur la pochette). Cette profusion d’intervenants permet d’enrichir le disque d’ornements des plus décoratifs, le jeu des musiciens étant tout sauf linéaire, et d’éviter d’éventuels ventres creux.
Les moments de bravoure ne manquent pas, entre un ‘Wuthering Heights’ dont la prestation vocale extraordinaire (au premier sens du terme) inscrit déjà Kate Bush dans la légende, ‘The Man With The Child In His Eyes’, très belle ballade mélancolique prouvant qu’elle est aussi crédible en chanteuse à la sensibilité à fleur de peau, ou le très romantique ‘The Kick Inside’ qui clôt superbement l’album. Les sinuosités d’un ‘Moving’ ou d’un ‘Strange Phenomena’, la délicatesse d’un ‘Feel It‘ ou d’un ‘L'Amour Looks Something Like You’ sont autant de moments intemporels qui bercent et surprennent l’auditeur tout à la fois. Mêmes les compositions plus banales (‘Kite’, ‘James And The Cold Gun’, ‘Room For The Life’) sont sauvées par une interprétation toujours originale.
Raffinement, fantaisie, romantisme, surprise sont les maîtres-mots de cet album. Tout en restant proche du canevas d’une chanson, Kate Bush introduit un univers de fantaisie et de délicatesse qui charme l’auditeur, très loin des critères habituels de simples chansons rock. Une merveilleuse artiste est née !