Nous
avions quitté Hail Spirit Noir sur un second album enthousiasmant,
dont les charmes obscurs agissaient longtemps encore après s’être
déployés sur plus de quarante minutes d’un black metal progressif
mélodique et lumineux. Et voilà que les Grecs sont de retour avec
une troisième offrande dont la pochette dévoile l’essentiel :
onirisme ténébreux et inquiétant, violence sourde et rampante
issue des confins du monde connu et rejetée par l’océan sur nos
paisibles rivages.
Le duo, non content de prolonger la mue entamée sur "Oi Magoi", la
radicalise par bien des aspects, en portant une écriture de plus en
plus dépouillée, aride et glaciale. Des superbes mélodies et soli
qui irriguaient leur précédent effort ne subsistent plus que
quelques lambeaux prélevés sur des progressions harmoniques érodées
par les vents de la dissonance, rongées par le sel du chant de
Theoharis, plus rugueux que jamais, fragmentées par l’implacable
ressac de percussions aussi habiles que déchaînées.
S’il est
possible de déplorer cet assèchement, il faut aussi reconnaître
l’incroyable attention accordée aux textures et aux ostinati
mélodiques incarnés par les claviers, qui bien souvent insufflent
un peu de vie à ces corps décharnés.
"Mayhem
In Blue" se distribue ainsi entre titres immédiats et lumineux,
investis d’une puissante charge émotionnelle, à l’image d’un
opener art-rock théâtral et d’une conclusion apaisée ancrée
dans les seventies, et titres beaucoup plus inquiétants, forgés
dans l’acier glacé d’un black metal teigneux et morbide ('Riders
To Utopia' et l’effrayant 'The Cannibal Tribe Cames From The Sea',
tout en suggestions, impasses et chausse-trappes).
Plus
ouvertement progressives se déploient 'Mayhem In Blue' et 'Lost In
Satan’s Charms', mystérieuses et hypnotiques, magnifiées par
d’incessants contrastes entre chant clair et hurlements déments,
habitées par un psychédélisme digne du premier Pink Floyd,
perforées d’échappées mélodiques solaires et de soli
vertigineux. Hail Spirit Noir atteint là des sommets de rigueur
attestant d’une écriture, tant harmonique que structurelle, en
progression constante.
Malgré
un premier contact légèrement décevant qui ne laissait rien
présager de bon, "Mayhem In Blue" dévoile ses richesses au fil du
temps, requérant de l’auditeur une attention qui sera largement
récompensée.