Après avoir proposé
en 2014 une interprétation toute personnelle, et largement
inclassable, du De Natura Rerum de Lucrèce, le trio américain Lotus
Thief revient avec un second album aux saveurs littéraires tout aussi affirmées, "Gramarye". Ce nouvel opus se place cette fois sous
le signe de l’occultisme et de la sorcellerie en tissant de
puissants échos avec divers textes et traditions parfois
millénaires, tels les rites funéraires égyptiens compilés dans le
fameux "Livre des Morts", l’Odyssée d’Homère et
sa présentation des charmes usés par la magicienne Circé pour
piéger Ulysse et son équipage, ou encore le manuscrit de
Mersebourg, unique source textuelle évoquant les croyances païennes
germaniques.
"Gramarye" développe
son concept tout au long de cinq chapitres que ne séparent nuls
silences et tire sa puissance incantatoire des voix de Bezaelith et
Iva Toric, voix féminines ensorcelantes et hypnotiques émergeant
d’un orage de réverbérations. Intensément mélodiques, 'The Book
Of The Dead' et 'Idisi' ouvrent et referment cette nouvelle offrande,
l’un se situant aux frontières du doom et du (post) black metal,
l’autre tétant fermement le sein d’un post-rock apaisé et
liturgique. Telles deux flammes vacillantes, fragiles au cœur même
de leur incandescence, aériennes jusque dans les blast-beats
dispensés par Otrebor, ces deux sentinelles veillent sur un album
d’une beauté presque oubliée, dans lequel guitares et claviers
s’élèvent très haut, entremêlent riffs, arpèges et mélodies
fiévreuses lors de progressions tout en fluidité.
Si ces deux
morceaux, malgré des structures incorporant de constantes variations
de thèmes, d’atmosphères et de textures, se dévoilent avec une
générosité que l’on qualifiera, en dépit de leurs thématiques,
de sensuelle, il en va un peu différemment des trois titres qui
constituent le cœur de l’album. 'Circe', avec son jeu de basse
profond et organique, s’appuie sur une rythmique plus lourde qui,
laissant moins de place à la mélodie, se déploie en une lente
reptation morbide menée aux confins de l’hypnose, tandis que
'Salem', après une longue et glaciale introduction héritée de la
cold-wave, ne gagne en intensité qu’en sa seconde moitié, sans
jamais pourtant atteindre de véritables sommets.
C’est finalement
'The Book Of Lies' qui arrime de nouveau "Gramarye" à ses deux
principaux ports d’attache, en s’ouvrant sur un riff en deux
parties, doom puis black metal, exposant ainsi les directions
empruntées par le trio tout au long d’une pièce plus agressive,
secouée de blast-beats furieux et de riffs heavy qu’apaisent
difficilement les lignes vocales angéliques des deux chanteuses.
Lotus Thief, sans
radicalement se renouveler, propose avec "Gramarye" un album intense,
solennel et incantatoire, dont il serait vain de chercher
l’équivalent au sein de la production metal actuelle.