Déjà 22 ans depuis le premier album d’Ayreon ("The Final Experiment", 1995), mais seulement huit albums studio. Il faut dire qu’Arjen Lucassen ne chôme pas par ailleurs : Ambeon, Star One, Guilt Machine, Gentle Storm plus cinq albums sous son nom, sa production est pléthorique et de qualité. L’album studio précédent ("The Theory of Everything") avait quelque peu quitté les rives de l’anticipation pour développer une brillante réflexion sur les rapports humains, nous offrant un des concept-albums les plus réussis de ces dernières années. Le neuvième opus, "The Source", sera-t-il à la hauteur de son devancier ?
L’album est un prequel de "Planet Y", qui lui-même était la suite de "The Electric Castle". "The Source" est donc un retour vers le space opera d’anticipation, qui décrit les conditions qui ont amené les personnages à échouer sur la fameuse planète Y. Comme d’habitude, pour conter cette histoire, Arjen a fait appel à quelques habitués (nous pourrions même ici parler d’un véritable groupe : Ed Warby aux fûts, Ben Mathot au violon, Jeroen Goossens à la flûte, Maaike Peterse au violoncelle) et une pléthore d’invités prestigieux parmi lesquels nous citerons Mark Kelly, clavier de Marillion, les guitaristes Marcel Coenen, Guthrie Govan et Paul Gilbert, sans oublier une magnifique brochette de chanteurs, de James Labrie à Tommy Karevik en passant par le petit dernier : Zaher Zorgati du groupe Myrath, premier francophone à participer à l’aventure Ayreon.
Sur le papier, une équipe de rêve pour développer l’histoire qu’Arjen a mise en musique. Et ça commence plutôt bien avec un long morceau de 11 minutes, progressif en diable, où tous les chanteurs interviennent et dont la construction complexe ralliera les suffrages de tous les amateurs de progressif moderne. Se mettent ici en avant la section médiane bluesy avec un chouette solo de guitare, et le fabuleux travail choral de Michael Mills.
Mais par la suite, le ton va se simplifier tandis que les rythmiques se durcissent, emportant l’auditeur vers un univers plus proche de Star One ou de "Flight of the Migrator", soit l’univers le plus metal d’Arjen Lucassen, loin des délicatesses d’un "Dream Sequencer" ou de "Theory of Everything". Nous ne sommes pas dans les contrées les plus intéressantes d’Ayreon : ici le son prime sur la mélodie et la densification des lignes précipite la plupart des titres dans une certaine forme de redite, voire de caricature. Nous savons qu’Arjen évolue dans un univers qui lui est propre, possédant une forte signature faite de l’association de claviers spatiaux très bien étudiés et de guitares tranchantes, mais ici il réutilise des "trucs" qui ont été entendus maintes fois dans les opus précédents, avec une épaisseur qui ne laisse guère à l’auditeur le loisir de s’imprégner d’une quelconque sensibilité.
Ainsi nous retrouvons les ambiances celtiques ('Sea of Machines', 'All That Was'), les chœurs travaillés ('Star of Sirrah', 'Condemned to Live') et les riffs aiguisés ('Everybody Dies', 'Aquatic Race', usant, 'Into the Ocean' aux sonorités guitare + Hammond très convenues chez Ayreon, 'Planet is Alive'…), autant de titres qui ne surprendront guère les aficionados d’Arjen. D’autant qu’à force de tirer le ton vers le speed, le projet perd souvent ce qui faisait une de ses forces essentielles : la qualité des interprétations vocales. Passons sur le cas Labrie, qui en fait des tonnes comme à son habitude, mais voir des interprètes comme Tommy Karevik qui nous avait cloués sur "Theory…" ou Russel Allen sortir des partitions finalement assez quelconques s'avère décevant.
Ne soyons pas injustes, la qualité de réalisation est toujours très au-dessus de la moyenne, avec une production comme d'habitude précise, ample, dynamique, et quelques fulgurances dans les compositions qui rappellent le talent d’Arjen : le solo de synthé de 'The Dream Dissolves', certaines parties de guitare ('Planet is Alive') et quelques transitions sont remarquables. Mais la machine Ayreon a tendance à ronronner, et quand elle s’emballe, c’est ici sans émotion transmise.
Avec "The Source", Arjen Lucassen ne sort guère de sa zone de confort. Sa renommée lui permet de travailler avec des individus prestigieux et de donner un album honorable, mais l’auditeur est en droit d’attendre plus d’un compositeur dont le talent nous a livré plusieurs albums incontournables. La qualité globale de l’ouvrage permet à l’élève d’obtenir la moyenne, mais le devoir a échappé de justesse au "peut mieux faire" !