Quatre ans se sont écoulés depuis la dernière production de Kate Bush, l’excellent "Hounds of Love". Depuis le début de sa carrière en 1978, la jeune chanteuse a fait un sans-faute, alignant cinq albums encensés par la critique et appréciés à leur juste valeur par le public, la propulsant au rang d’artiste féminine la plus originale et délicieusement fantasque de la planète Rock.
C’est dire si l’arrivée de "The Sensual World" est accueillie avec enthousiasme par un auditoire largement acquis à sa cause. Enthousiasme vite refroidi par le titre éponyme qui sert d’introduction à ce nouvel opus. Car le linéaire et répétitif ‘The Sensual World’ est bien loin des excentricités vocales coutumières de Kate Bush, qui se contente de susurrer sa chanson. L’instrumentarium pourtant original (uilleann pipes, fiddle, bouzouki) est noyé dans une production sans relief et seule l’articulation amusante des vers éveille un léger intérêt.
Malheureusement, le disque entier va se révéler être à l’avenant de ce premier morceau. Les mélodies sont peut-être moins inspirées que par le passé mais surtout bien mal mises en valeur par une production qui écrase tout en enregistrant voix et instruments au même niveau sonore, donnant un rendu uniforme qui s’avère rapidement fatigant. Pourquoi avoir invité David Gilmour sur deux titres si c’est pour noyer sa guitare au milieu de nappes de claviers et de percussions inopportunes ? Kate Bush elle-même a souvent bien du mal à se faire entendre au-dessus d’un accompagnement envahissant.
Il faut dire que la chanteuse n’est pas au mieux de sa forme, se laissant souvent aller à susurrer (‘The Sensual World’, ‘The Fog’, ‘Deeper Understanding’), ne se livrant que trop rarement aux excentricités qui sont sa marque de fabrique (les trilles finales de ‘Walk Straight Down The Middle’). Même constat pour les mélodies, souvent banales, linéaires et sans nuance (‘The Sensual World’, ‘Love and Anger’, ‘Heads We're Dancing’, ‘Between A Man And A Woman’) qui suscitent rapidement l’ennui.
Kate Bush n’a cependant pas renoncé à toute fantaisie. ‘The Fog’ adopte une construction originale avec traits lugubres du violon et du violoncelle, bouts de dialogue et samples de cris de mouettes pour l’accompagner. ‘Rocket's Tail’ commence par un long a cappella sur le chœur des voix bulgares du trio Bulgarka, que l’on retrouve également sur ‘Deeper Understanding’ et ‘Never Be Mine’ mais qui ne produit pas l’effet escompté, le caractère très folklorique de leur chant se mêlant mal à l’univers de Kate Bush.
Si ‘Love And Anger’, ‘The Fog’, ‘Reaching Out’, ‘Never Be Mine’ et ‘Walk Straight Down The Middle’ s’extirpent à grand-peine du lot des chansons insipides, c’est assurément ‘This Woman's Work’ qui constitue l’instant de grâce de cet album, Kate Bush réussissant enfin à faire frissonner l’auditeur par un piano/voix mélancolique et sensible dont elle a le secret.
C’est malgré tout bien peu. Excès de modernité typique des années 80 (les percussions programmées sur un synthétiseur Fairlight donnent un aspect très uniforme sur nombre de titres) ajouté à une baisse d’inspiration généralisée, un chant un peu en-dedans, une production trop orchestrale ne mettant pas suffisamment en relief les solistes, y compris le chant lui-même, et de fausses bonnes idées font de cet album un disque pas très réussi et plutôt ennuyeux.