Si "Director’s Cut" est considéré comme le neuvième album studio de Kate Bush, c’est surtout parce que sa créatrice a dit qu’elle le considérait comme un nouveau projet à part entière. En réalité, "Director’s Cut" est une compilation de quatre titres tirés de "The Sensual World" (1989) et de sept autres extraits de "The Red Shoes" (1993), réarrangés, remixés et pour trois d’entre eux complètement réenregistrés (‘This Woman's Work’, ‘Moments of Pleasure’ et ‘Rubberband Girl’).
D’où vient cette idée ? Kate Bush n’a jamais caché qu’elle était peu satisfaite de la production numérique de "The Red Shoes", qu’elle jugeait trop froide. Probablement n’était-elle également pas complètement convaincue de la qualité de celle de "The Sensual World" dont les parties rythmiques mixées très en avant, comme on aimait à le faire dans les années 80, noyaient inopportunément les solistes, voix comprise.
Revenant à des enregistrements analogiques, les titres font l’objet d’un lifting en profondeur. Ils sont tout d’abord allégés des accompagnements rythmiques denses à en devenir étouffants des originaux, mis en retrait ou carrément supprimés. Les parties de batterie sont réenregistrées et, elles aussi, mises en retrait. De même, les parties vocales, soliste et chœurs, font l’objet de nouvelles prises de son.
Ce traitement de choc s’avère bénéfique à la plupart des titres, quand il ne les transfigure pas carrément. Ainsi le mixage ressort-il la voix, le violon et les uilleann pipes sur ‘Flower of the Mountain’, nouveau nom de ‘The Sensual World’, reléguant l’accompagnement batterie/bouzouki en discret fond sonore. Même constat pour ‘Song Of Solomon’, ‘Lily’, ‘The Red Shoes’, ‘Never Be Mine’ et ‘And So Is Love’ sur lequel le couple de luxe Clapton/Brooker s’entend enfin, récupérant le gâchis de l’original.
Certaines chansons sont revisitées en profondeur. C’est le cas pour ‘Deeper Understanding’ avec l’ajout de voix de synthèse symbolisant la voix de l’ordinateur, protagoniste de l’histoire, et d’un final longuet où Kate Bush semble chanter sous l’eau. ‘This Woman’s Work’, meilleur titre au demeurant de "The Sensual World" voit sa durée doubler par l'adjonction d'un long final atmosphérique où des sons diffus et fantomatiques (claviers, chœurs) accompagnent un chant très mélancolique, transformant le titre romantique d’origine en quelque chose de très bizarre, s’approchant des musiques méditatives qui attirent Kate Bush depuis "Aerial". Enfin ‘Moments of Pleasure’, débarrassé de son orchestre, devient un morceau intimiste à la limite du minimalisme, et ‘Rubberband’, rehaussé d’un harmonica bluesy, se pare d’une tonalité plus rock.
Si toutes ces modifications ne se justifient pas toujours (j’ai tendance à préférer les versions originales de ‘This Woman’s Work’ et ‘Rubberband’) et qu’elles ne corrigent pas la faiblesse de certaines mélodies (‘Deeper Understanding’, ‘The Red Shoes’), il est indéniable que le résultat d’ensemble est infiniment plus crédible et intéressant que les deux albums dont il est issu, justifiant pleinement l’initiative de Kate Bush. Celle-ci dont le timbre est légèrement plus bas qu’il y a vingt ans prouve également qu’elle conserve une voix magnifique et un dynamisme dont on ne la croyait plus capable après le mollasson "Aerial".
En enregistrant "Director’s Cut", Kate Bush corrige les demi-ratages qu’étaient "The Sensual World" et "The Red Shoes", faisant de deux albums moyens un album agréable. N’arrivant certes pas au niveau de créativité des cinq premiers mais tout à fait acceptable pour qui apprécie cette fantasque et fantastique artiste.