Je ne ferai pas ici l'injure de présenter aux lecteurs la philosophie des projets Colossus, tant leur présence régulière jalonne l'univers du rock progressif depuis maintenant une douzaine d'années. J'entamerai donc ma chronique en stipulant simplement que le quadruple CD dont il va être question ci-après représente le dernier volet de la trilogie dédiée au Decameron.
Il en va des projets Colossus comme des cousinades : sous la houlette du maître de cérémonie (Marco Bernard, éditeur du magazine du même nom) et dans un décor incroyable fourni par Ed Unitsky (mega-livret de 80 pages une nouvelle fois riche et magnifique), on y retrouve les habitués, les petits nouveaux, les perdus de vue depuis longtemps, ceux qui se trouvent de nouvelles affinités, mais également ceux que l'on n'aurait pas dû inviter.
Concept oblige, ou proximité affective peut-être, un bon tiers des invités aux festivités est composé de groupes italiens, dont certains totalement inconnus de nos colonnes. Et bien évidemment, cette colonie va se répartir dans les différentes catégories énoncées précédemment. Le symphonisme romantique classique est régulièrement de sortie, de même que les passages de flûtes très nombreux, mais c'est surtout une certaine propension à développer des parties chantées très inégales qui marque les esprits : Court ou encore Marchesi Scarmoza maîtrisent (hélas) à merveille l'art d'irriter l'auditeur par un chant insupportable, déclenchant un zapping obligatoire, surtout compte tenu des 4 h 30 de musique disponibles dans le coffret. Il reste malgré tout quelques bonnes surprises parmi ceux-ci, dont Taproban et son néo-prog hérité du Marillion de la première heure, ou encore Saluena, accompagné pour l'occasion par Steve Unruh au violon pour un mélange des genres intéressant.
A l'extérieur de la botte, ce sont des valeurs sûres qui confirment tout leur talent par la grâce de titres de qualité : JPL et son instrumental bien charpenté, ou encore les argentins de Nexus et leur progressif technique passionnant arrivent en tête de gondole, bien imités par les revenants d'Ageness - dont je n'avais pour ma part plus guère entendu parler depuis une vingtaine d'années - avec ce nouveau titre qui reste dans leurs standards genesiens, sans originalité mais suffisamment bien construit pour susciter l'intérêt. De même, les "petits nouveaux" d'Elephants of Scotland nous délivrent un morceau mélodique digne d'intérêt, en phase avec leur style habituel, tandis que Rebel Wheel passionnera les amateurs de progressif technique.
On n'en dira pas autant de l'international United Progressive Fraternity. Après le splendide (et dernier) titre produit par Unitopia pour le volume II de cette saga, la nouvelle troupe de Marck Trueack se plante magistralement en accentuant le côté métallique de sa musique, trustant ainsi sans gloire la première place des déceptions du moment.
Car c'est bien là toute la problématique de ces projets conceptuels : le cahier des charges imposé par leurs géniteurs embarque chaque groupe vers un univers (les 70's) qui n'est pas forcément le sien. Beaucoup respectent l'objet à la lettre surtout lorsqu'il s'agit de leur univers de prédilection, d'autres restent dans l'esprit tout en conservant leurs certitudes, et certains profitent de l'occasion pour prendre la tangente, au risque de déstabiliser leurs auditeurs habituels. Et pour un UPF qui tire à côté de la plaque, il convient de souligner le formidable morceau de Blank Manuscript qui, après six minutes de musique obscure, aux sonorités brutes dominées par la rythmique du batteur, effectue un virage à 180° pour produire un long final qui évoque inévitablement Pink Floyd et 'Us & Them'.
Alors bien entendu, nous n'entrerons pas dans les détails de chaque titre et tout auditeur trouvera plus ou moins son compte dans cette gargantuesque compilation. Toutefois, il me semble que cet ultime opus de la trilogie pêche quelque peu en qualité générale, se situant un cran en-dessous de ses prédécesseurs. Usure du concept ? Manque de véritables locomotives ? Il reste néanmoins une œuvre monumentale à écouter et à savourer les yeux sur le livret une nouvelle fois incroyable qui accompagne l'objet.