Après un album très réussi et enrichi d'un tube ('Babooshka'), qui mettait en avant son éclectisme tout autant que son envie d'expérimenter, Kate Bush s'est penchée sur les mythes aborigènes auxquels elle rend hommage en nommant son nouvel opus "The Dreaming".
Pour les Aborigènes, le temps du rêve abolit les frontières entre la vie et la mort, le passé, le présent et le futur (le monde a été créé par un rêveur, sans métaphore aucune). Dans notre monde occidental, quiconque croirait littéralement, sans la censure freudienne, à ses rêves serait traité de fou. Cette ambivalence entre deux civilisations forme donc un solide écrin pour Kate Bush. La chanteuse s'empare de ces éléments comme sur le titre éponyme qui mêle didgeridoo sur un fond tribal et sur lequel elle répond de sa voix douce à sa propre voix rauque, ou dans les paroles de 'Sat In Your Lap' qui annule toutes les différences (Heaven Is Hell) et place le Livre comme savoir sacré.
Mais l'album ne saurait se limiter aux origines australiennes. Kate Bush, sans défiance aucune pour le syncrétisme, revisite les genres, celtique pour 'The Night Of The Swallow' (qui possède l'un des refrains les plus poignants), plus méridional ('There Goes A Tenner') n'hésitant pas à côtoyer des sonorités plus hard ('Leave It Open' avec ses guitares étouffantes) ou complètement
folles ('Sat In Your Lap' avec son chant aigu et ses pianos sautillants), avec des arrangements d'une subtilité inouïe. La psyché humaine fascine la fée de Bexleyheath. Cet album marque l'accomplissement d'une quête de traduction sonore des sentiments humains, transformant notre interprète en actrice nocturne : désespérée ('Put The Pin Out' dans lequel elle incarne un soldat viêt-cong confronté à la mort de son double), fausse enjouée ('Suspended In Gaffa' où elle se fait héroïne de Lewis Carroll), spectrale ('All The Love') ou possédée ('Houdini', 'Get out of my House', avec un travail sur les voix remarquable, mais, seul point faible de l'album, qui sombre dans le ridicule à l'arrivée de ses bourricots des ténèbres).
Pour cet album, Kate Bush n'a négligé aucune dimension de son art : musique, paroles, interprétation et clips vont de pair (regardez la séance de rituel de 'The Dreaming', les chorégraphies en quatrième vitesse de 'Sat In Your Lap' et 'Suspended In Gaffa', ou encore celles de monte-en-l'air de 'There Goes A Tenner'. Une vraie réussite avant un nouveau sommet, "Hounds Of Love".