1978, dans la froide et pluvieuse Crawley, au sud de Londres, trois garçons luttent contre l'ennui en formant d'éphémères groupes de lycée. Lol Tolhurst, Michael Dempsey et Robert Smith, trois rescapés de Malice, forment l'ossature de The Cure. Remarqué par Chris Parry, qui fonde sur le champ le label Fictions, le groupe enregistre un 45 tours 'Killing An Arab' (d'après ''L'Etranger'' d'Albert Camus). En mai 1979, les trois jeunes garçons (le cadet Robert Smith vient de fêter ses vingt ans) enregistrent au studio Morgans leur premier effort discographique. Chacun d'eux est symbolisé sur la pochette ménagère d'une façon très imagée !
L'éruption musicale du punk a laissé un paysage calciné duquel se sont rapidement extirpés Joy Division ou Killing Joke. Jeunesse oblige, The Cure reste assez proche d'un son post punk. Les titres sont courts et arrangés autour de la guitare nerveuse de Robert Smith, la pompe à basse de Michael Dempsey, la batterie martiale de Lol Tolhurst. Le chant de Robert Smith est déjà assuré et ce dernier scande souvent le titre en guise de refrain ('Object', 'Meathook', 'So What' et ses curieuses paroles). Cette particularité pourrait rendre les morceaux répétitifs s'ils n'étaient déjà courts. 'Griding Halt' avec son riff énergique s'en sort haut la main. En revanche, l'album comporte une faute de goût assez étonnante : 'Foxy Lady' (Chris Parry a décidé de placer cette piste sans le consentement de Robert Smith), reprise improbable de Jimi Hendrix sur laquelle Robert Smith laisse le chant à Michael Dempsey, pour le pire mais sans le meilleur !
Derrière cette façade minimaliste se dissimule pourtant un potentiel. Les sonorités orientales importées de 'Killing An Arab' montrent que le groupe ne rechigne pas à sortir de son sérail, à l'image de 'Fire In Cairo' qui fusionne reggae et punk, tout comme 'Another Day' qui se paie le luxe d'une minute d'introduction. Mais là où le groupe se distingue, c'est dans sa capacité encore certes fragile à créer des atmosphères glaciales et mélancoliques. 'Subway Song' voit la basse de Michael Dempsey imiter le bruit de pas nocturnes, tandis que Robert Smith susurre la tragédie à venir (qui a effectivement lieu en fin de chanson). La poisseuse '10.15 On Saturday Night' libère la tension par un solo acide de guitare. 'Three Imaginary Boys', le fantomatique titre éponyme, laisse éclater la furie d'une guitare, annonçant des lendemains qui déchantent (la chanson se termine par une supplique 'Can You Help Me').
Robert Smith, qui n'a pas eu le droit de décision des chansons sur ce premier album, le déteste cordialement. Pourtant, ce premier volet d'une grande aventure présente déjà d'intéressantes compositions montrant l'intérêt du groupe pour des climats mélancoliques ou glauques qui seront plus tard permanents. Notons que l'album est ressorti aux Etats-Unis avec un track listing différent et l'ajout du single 'Boys Don't Cry' qui lui donne son nom.