Derrière leurs airs débonnaires semblant laisser penser qu'ils n'en font qu'à leur tête, les membres de ZZ Top sont en fait de redoutables observateurs. Si le côté expérimental de "El Loco" (1981) en avait déstabilisé plus d'un, cet opus va finalement se révéler comme l'étape indispensable dans la mue du trio texan vers une nouvelle dimension. En effet, Billy Gibbons et ses acolytes semblent n'avoir rien laissé au hasard pour la sortie de leur nouvel album intitulé "Eliminator" autour duquel tout un concept a été créé. Il y a d'abord le coupé Ford qui a été spécialement créé pour le groupe et qui porte le nom de l'album. Dans la série de vidéos tournées pour les différents singles, plusieurs éléments communs sont repris tels que les playmates, la voiture ou certaines gestuelles du groupe. Même la vitesse du tempo a été étudiée pour accrocher au mieux l'auditeur. Un tel plan commercial fera craindre, à juste titre, la perte de l'authenticité et de la spontanéité de la musique du groupe. Pourtant, ces éléments vont être suffisamment compensés pour faire d' "Eliminator" un album incontournable alliant créativité et efficacité.
La triplette de hits qui ouvre le disque est symbolique de la nouvelle identité des Texans. Alliant des refrains hyper accrocheurs et des soli imparables sur des tempi irrésistibles enrichis de légères couches de synthés, le légendaire 'Gimme All Your Lovin' ' et ses petits frères 'Got Me Under Pressure' et 'Sharp Dressed Man' proposent ce qu'il est possible d'appeler un cyber hard boogie blues sudiste. Tout ceci est d'une efficacité redoutable et va marquer l'histoire du rock à jamais. L'intro de batterie de 'Gimme All Your Lovin' ' est entrée dans la légende, tout comme son refrain. 'Got Me Under Pressure' se fait un peu plus agressif mais il garde une cohérence évidente que son successeur vient confirmer.
La suite se fait variée et semble fonctionner par séries. La ballade mid-tempo 'I Need You Tonight' vient rappeler les origines blues du trio en laissant s'écouler un feeling envoûtant, digne d'un coucher de soleil sur le désert, avant que 'I Got The Six' donne un sérieux coup d'accélérateur en se faisant plus brut et direct. Après ce break, c'est une série poussant encore plus loin les expérimentations qui se présente avec des synthés qui prennent le pouvoir. 'Legs' lance la triplette et entrera lui aussi dans la légende avec ses célèbres guitares-moumoutes, avant que 'Thugs' fasse presque disparaître la guitare et la batterie derrière une basse multipliant les soli en tapping et une boîte à rythme assez prégnante. Plus lent, à la fois sombre et désinvolte, 'TV Dinners' vient clôturer ce sous-ensemble avec son refrain obsédant. Le final revient sur des territoires plus traditionnels, avec des synthés toujours présents mais plus discrets, laissant l'énergie brute de 'Dirty Dog' et 'Bad Girl' percuter l'auditeur, alors que 'If I Could Only Flag Her Down' se fait plus rock'n'roll.
Même s'il lancera une polémique au sein des fans de la première heure, "Eliminator" va tout balayer sur son passage. Tout en gardant une identité aisément reconnaissable, ZZ Top a réussi à adapter sa musique à son époque, touchant ainsi un public large et varié. Sans point faible, cet opus est entré dans la légende et se retrouve dans tous les classements des meilleurs albums de rock du siècle. Si certains crieront à la trahison, le trio ne se laissera pas démonter, sûr de ses forces et persuadé qu'il n'est pas nécessaire de rester la propriété d'un nombre limité d'amateurs pour être forcément un groupe de grande qualité.