A peine "It's Only Rock'n'Roll" paru, Mick Taylor décide de quitter les Rolling Stones dès le mois de décembre 1974. S'ensuit une période relativement instable durant laquelle le groupe enregistre son nouvel opus en différentes étapes et en profite pour auditionner plusieurs candidats. Parmi ces derniers, nous noterons les noms de Rory Gallagher, Steve Marriot (Small Faces, Humble Pie), Jeff Beck (Yardbirds) ou Peter Frampton (Humble Pie, David Bowie). Rien que ça ! Ainsi, ce sont trois guitaristes qui vont apparaître sur "Black And Blue" : Harvey Mandel (Canned Heat, John Mayall), Wayne Perkins, et Ron Wood (The Birds, Faces), avant que ce dernier n'intégre finalement le groupe officiellement. Toujours produit par les Glimmer Twins (Mick Jagger et Keith Richards), cet album ne sortira qu'en 1976 et va marquer un tournant important dans la carrière des Rolling Stones.
En effet, en dehors du changement de line-up, il est également marqué par une approche débridée venant probablement des différentes sessions d'enregistrement étalées sur presque deux ans, mais aussi par une ouverture à plusieurs styles musicaux. Ici, le rock'n'roll se résume à deux titres : 'Hand Of Fate' et 'Crazy Mama'. Efficaces et dotés de bons soli assurés par Wayne Perkins sur le premier et par Ron Wood sur le second, ils restent les garants de l'âme originelle des Stones, même s'ils ne s'inscrivent pas parmi les titres incontournables du groupe dans le genre. A ces repères peuvent être ajoutées les deux ballades que sont 'Memory Motel' et 'Fool To Cry'. S'étalant sur plus de 7 minutes, la première profite d'un chant partagé entre Mick Jagger et Keith Richards et d'une montée en intensité parfaitement maîtrisée. Single à succès, la seconde partagera les fans, comme 'Angie' avait pu le faire avant elle. Délicate et dotée de voix de fausset sur son refrain, elle reste réussie malgré son approche commerciale incontestable.
Si tout l'album était resté dans la veine de ces quatre titres, il n'aurait probablement pas déclenché la polémique qui l'entoure encore de nos jours. Seulement voilà, les Rolling Stones aiment expérimenter, et pas seulement dans le domaine de la consommation de substances plus ou moins licites. Ainsi, "Black And Blue" s'ouvre sur 'Hot Stuff', single funky au riff répétitif s'appuyant sur le principe de la montée en transe avec quelques soli assurés par Harvey Mandel. Cette entrée en matière aura pour résultat de déboussoler un grand nombre de fans qui crieront à la trahison. Et ce ne seront pas les reggae de 'Cherry Oh Baby', pénible cover d'Eric Donaldson, et d'un 'Hey Negrita' composé avec Ron Wood qui calmeront le jeu. Quant au jazzy 'Melody' coécrit avec Billy Preston, il se fait élégant et enfumé avec un refrain obsédant, mais lui aussi s'éloigne un peu trop de l'identité des Stones, d'autant que les guitares s'y effacent derrière le piano et la section des cuivres.
Considéré par de nombreux critiques comme le début de la traversée du désert artistique des Rolling Stones, "Black And Blue" continue toujours à diviser. Il est effectivement très éloigné de la période 68-73 durant laquelle chaque album semblait destiné à devenir un incontournable, et il est difficile de ne pas soupçonner ses auteurs de s'être montrés à la fois trop négligents et trop soucieux de coller à la mode musicale du moment. Pourtant, derrière cet aspect mercantile, il reste un album dont le niveau moyen représenterait un excellent album pour d'autres groupes envers lesquels l'attente est moins exigeante. D'autre part, la prise de risque reste une démarche respectable, surtout pour une formation semblant ne plus avoir grand-chose à prouver.