La dégringolade enclenchée en 1984 avec "The Deed Is Done" avait fini par provoquer la séparation de Molly Hatchet en 1990. La formation semblait ne pas pouvoir survivre à l'hémorragie de son line-up et à deux albums très en deçà de ce que les Floridiens avaient l'habitude de proposer aux amateurs de leur southern rock racé. Depuis, Danny Joe Brown et Bobby Ingram avaient bien tenté de proposer une formation remaniée pour honorer quelques dates, mais les jeux semblaient être faits pour le célèbre sextet. Ce fut donc une surprise d'apprendre que le groupe rentrait en studio pour enregistrer un nouvel album en 1995. Malheureusement, Danny Joe Brown, seul membre d'origine, doit abandonner ses camarades en raison de graves problèmes de santé. Décidé à garder Molly Hatchet en vie, il en confie les rênes à Bobby Ingram et recrute lui-même Phil McCormack, vocaliste de The Roadducks, pour le remplacer. Le groupe reprend alors ses sessions d'enregistrements pour offrir le premier album du groupe depuis 7 ans avec un line-up renouvelé au deux tiers.
Autant dire que les doutes sont prégnants face à une formation dont il ne reste plus aucun membre formateur, avec une section rythmique totalement nouvelle, et un Bryan Bassett (Wild Cherry) qui remplace Duane Roland, dernière gâchette de la triplette de guitaristes qui avait construit la légende de Molly Hatchet. Pourtant, cet apport de sang neuf va revigorer un groupe qui en avait bien besoin. Œuvrant dans un registre aussi grave et éraillé que son prédécesseur, Phil McCormack possède une voix encore plus rocailleuse et fait preuve d'aplomb en n'hésitant pas à haranguer ses compagnons de jeu, voire même à les siffler pour lancer leur soli. La paire rythmique abat un sacré boulot, faisant preuve de dynamisme et de puissance ('Rolling Thunder') et Bryan Bassett se fond parfaitement dans le moule en balançant quelques excellents soli. Les célèbres cavalcades guitaristiques sont d'ailleurs de retour à l'occasion des deux sommets que sont le titre éponyme et 'The Journey'. Épiques, ces titres débutent sur des ambiances à la fois sombres et envoûtantes avant que n'apparaissent les célèbres accélérations sur lesquelles s'enchaînent les soli de six-cordes qui se répondent et s'entremêlent.
Dès l'ouverture de l'album, Bobby Ingram n'oublie pas de sortir la slide pour effacer les derniers doutes quant aux racines du groupe ('Down From The Mountain'), alors que les boogie-rock sudistes sont aussi de la partie avec un piano bastringue qui vient se mêler aux guitares pour des résultats entraînants et festifs ('Never Say Never', 'Come Hell Or High Water' ou 'Eat Your Heart Out'). Molly Hatchet ne renie pas pour autant la face hard-rock de son identité plus récente, et il semble même enfin réussir à la maîtriser, qu'elle soit mélodique ('Heartless Land') ou plus puissante ('Tatanka'). Ce dernier traite de la lutte et de la fierté du peuple Sioux, injustement lésé mais faisant toujours preuve de sagesse, en traduisant parfaitement ce mélange de sentiments. Seuls points réellement faibles de cet opus, la ballade 'The Look In Your Eyes' flirte avec la guimauve et se retrouve alourdie par un refrain tournant en rond, alors que l'intérêt de la version acoustique de 'Dreams I'll Never See' reste un mystère. Déjà présente sur le premier album éponyme du groupe, cette reprise du Allman Brothers Band n'apporte absolument rien à l'ensemble.
Sans retrouver les sommets des débuts, cet opus rassure cependant quant à l'état de forme d'un groupe à la formation profondément remaniée. En tentant de marier les différentes facettes de son identité, Molly Hatchet semble trouver un nouvel équilibre qui laisse entrevoir un avenir plus radieux. Il y a fort à parier que, si le sextet réussit à stabiliser son line-up, la suite devrait confirmer les perspectives nées de cette renaissance inespérée.