Au moment où vous lirez ces quelques lignes, sachez que The Wounded Kings ne sera déjà plus, ayant décidé en août dernier de s'endormir à tout jamais, laissant six albums dont le split "An Introduction To The Black Arts" (2010), partagé avec Cough, ainsi qu'un EP, "Curse Of Chains" (2014), en réalité simple reprise de sa contribution à cette même alliance. "Visions In Bone" se veut donc une œuvre posthume en même temps que le testament des Britanniques.
Cette décision de se saborder est d'autant plus incompréhensible que cette ultime offrande scellait le retour de George Birch, chanteur historique qui fut remplacé pendant presque cinq ans par Sharie Neyland, prêtresse avec laquelle on peut penser que le groupe avait atteint les limites d'une collaboration pourtant orgasmique, comme en témoignent les ténébreux "In The Chapel Of The Black Hand" (2011) et "Consolamentum" (2014). Nonobstant un charme digne d'une vamp échappée d'une pellicule gothique des années 60, la belle n'a jamais semblé à l'aise sur scène, empêchant ses compagnons de donner la pleine (dé)mesure de leur art.
Et au final, nombreux sont ceux qui applaudiront le come-back de son prédécesseur. Sans leur donner entièrement raison, estimant que les deux opus enténébrés par la voix sentencieuse de la démissionnaire incarnent l'apogée discographique de ses géniteurs, force est de reconnaître que cet ultime souffle de vie (ou de mort) brille d'un éclat à la fois flamboyant et funèbre dont la principale qualité est de creuser le même sillon entamé par ses récents prédécesseurs mais avec la voix unique et solennelle de George Birch. Bref, le meilleur des deux mondes, en quelque sorte.
The Wounded Kings savait-il qu'il s'agirait de son dernier effort ? Toujours est-il que, outre sa capacité à résumer en cinq pistes ce qu'est le doom victorien forgé par les Anglais, qui ne ressemble à nul autre, "Visions In Bone" baigne dans une atmosphère aussi mortuaire que définitive qui le pétrifie. Chaque titre forme une marche successive conduisant dans les profondeurs lugubres d'un caveau que le terminal 'Vultures' referme grâce à ces notes tricotées avec une infinie inexorabilité, comme si plus rien ne pouvait exister après cela.
Sans doute moins occulte que ses devanciers, cette hostie trempe dans un calice au fond duquel infuse un désespoir engourdi, à l'image de l'inaugural 'Beast', déambulation longue de plus de treize minutes à travers un labyrinthe dont la beauté sinistre se conjugue à un psychédélisme duveteux, qui doit autant au chant lointain de Birch qu'à ses guitares coulées dans les aciéries de la Perfide Albion.
D'un monolithisme admirable, ces complaintes déroulent une trame somnambule quasi immobile, prisonnière d'une gangue granitique, qui leur confère toujours ces allures de lente érosion, seulement interrompue par le jeu parfois éruptif de Steve Mills ('Bleeding Sky') et la puissance hypnotique de cette batterie profondément ancrée dans la terre ('Kingdom').
Offrande posthume, "Visions In Bone" est un monument à la gloire de ce doom victorien définitivement unique. Si on ne peut en définitive que regretter sa mise en bière, au moins le groupe s'en va-t-il la tête haute, accueillant la mort avec panache...